Surbooké

Le blog de Laurent Bisault

Les forçats de la route, Albert Londres, Éditions Arlea

Août 31, 2020 #Arlea

On peut dire qu’on l’aura attendu ce Tour de France déplacé pour la première fois de juillet à septembre. Alors pour mieux en profiter, autant découvrir son passé. Et qui mieux qu’Albert Londres pour raconter son histoire. Londres, ce journaliste dont le nom est aujourd’hui associé à un prix tant convoité et pour cause. Albert Londres, c’est une série de reportages des bagnes de Guyane aux hôpitaux psychiatriques, du Congo aux shtetls de Transylvanie avec parfois des conséquences importantes puisque le bagne fut progressivement fermé après publication de ses articles. Heureusement pour le Tour de France, ses papiers de 1924 publiés dans le Petit parisien n’entraînèrent pas la fin de cette course. Alors Thibaut Pinot on compte sur toi pour celui de cette année ! Le récit d’Albert Londres nous fait mieux comprendre combien le Tour était inhumain à ses débuts. Sachez donc qu’en 1924 le Tour était encore un vrai tour de France avec départ et arrivée à Paris, et entre-temps 15 étapes. La plus courte de Nice à Briançon faisait 270 kilomètres avec l’ascension de l’Isoard et du Galibier. Et la plus longue 480 kilomètres des Sables-d’Olonne à Bayonne. Au total trente jours de course, qui aux dires des coureurs étaient autre chose que les quatorze stations du Chemin de la Croix. Question matériel, les coureurs étaient vernis : des vélos qui pesaient leur poids et pas de dérailleur. Non qu’ils n’aient pas encore été inventés, mais justement parce qu’ils existaient et que la direction de course les avaient interdits. Pour se fader la route de Bayonne à Luchon via l’Aubisque, le Tourmalet et Aspin les concurrents étaient donc contraints de retourner leur roue arrière qui était équipée de chaque côté d’un pignon. Un grand pour la plaine et un petit pour la montagne. Il faudra attendre 1937 pour que l’invention du sieur Simplex soit autorisée. Pas de voiture suiveuse non plus pour réparer les crevaisons. Chacun pour sa gueule avec le lot de boyaux qu’ils avaient emportés et au besoin en en quémandant à un marchand de vélos. Pareil pour les grosses réparations. Si la chaîne cassait, à charge pour eux de se débrouiller avec des cailloux pour remettre un maillon. Toutes ces conditions étaient de mise depuis le début du Tour, et même pire pour la première édition qui ne comptait que six étapes. Paris- Lyon pour commencer. Vas-y roule, comme ça tu seras chaud pour la suite.

« On n’est pas des chiens »

Alors pourquoi donc le Tour de 1924 est-il rentré dans la légende. Grâce à Londres mais aussi aux deux frères Pélissier, Henri et Francis qui abandonnèrent en se livrant leurs états d’âme à Coutances (Manche) au journaliste. Henri, le plus célèbre, immense champion, avait gagné en 1923, mais là c’était trop. « On n’est pas des chiens » dit le grand frère Pélissier à Londres quand il lui demanda les raisons de son abandon. Un commissaire de course lui avait soulevé son maillot pour vérifier qu’il n’en portait pas un deuxième. Car dans ce cas il aurait dû le garder jusqu’à la fin de l’étape. Même sous le cagnard. Et de raconter combien le Tour était un calvaire que les coureurs supportaient avec force produits. De la cocaïne pour les yeux, du chloroforme pour les gencives, de la pommade pour se chauffer les genoux. Plus des pilules ce qui ne les empêchait pas de souffrir de diarrhée, de ne plus rien avoir sur la peau, et de perdre leurs ongles. Ils auraient aussi pu parler de la poussière qu’ils avalaient à longueur de journée. Et dire qu’un des coureurs faisait le Tour avec un œil de verre. Pour cette déclaration les Pélissier eurent droit à une amende et à une suspension. Otavio Bottecchia, ancien maçon du Frioul, gagna le Tour devant Nicolas Franz un Luxembourgeois et Lucien Buysse un Belge. Les articles d’Albert Londres eurent un grand retentissement notamment dans l’Humanité qui dénonça « Les mercantis du sport » bien que Londres écrivait ses papiers pour « un journal bourgeois ». Henri Pélissier mourut en 1935 sous les balles de sa compagne après avoir agressé au couteau sa sœur. Il avait survécu au Tour, et même à la Première guerre mondiale pour laquelle il s’était engagé volontairement bien qu’il ait été dans un premier temps réformé pour faible constitution.

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