Surbooké

Le blog de Laurent Bisault

Le restaurant de l’amour retrouvé, Ito Ogawa, Éditions Picquier

Oct 14, 2020 #Picqier

Une petite faim ? Alors direction le Japon. Pas pour manger des sushis ou des sashimis. Pour savourer de la véritable cuisine nippone, celle que les Japonais côtoient quotidiennement. Et mieux encore, une cuisine qui rend heureux, une cuisine que vous redemanderez. Rinco, jeune femme de vingt-cinq ans, vous attend. Elle vient de perdre sa voix suite à un chagrin d’amour. Son petit ami indien l’a non seulement quittée, mais lui a aussi tout pris. En rentrant dans leur appartement Rinco constate qu’il n’y a plus rien. Envolés les souvenirs de trois années de vie commune. Partis la télévision, la machine à laver, le frigo, jusqu’aux néons et au paillasson. Évaporés les ustensiles avec lesquels chaque soir Rinco cuisinait en attendant le retour de son fiancé. Terminés le mortier hérité de sa grand-mère, le baquet en bois de cyprès pour tenir au chaud le riz. Volée la cocotte Le Creuset payée avec son premier salaire. Sans parler des économies patiemment accumulées pour acheter un restaurant. Car les deux jeunes gens étaient tous les deux cuisiniers : lui dans un établissement indien et elle dans un restaurant turc. Seul vestige de son passé, Rinco récupère la jarre contenant la saumure de sa grand-mère. Une jarre transmise de génération en génération où il suffit de glisser des légumes pour qu’ils deviennent un régal. Une jarre magique. Alors Rinco quitte la grande ville et retourne dans le village de sa mère. Pourtant c’est peu dire que les deux femmes s’apprécient peu. D’ailleurs la fille tente de voler les économies de sa mère qu’elle croit cachées dans le potager. Pas de chance, elles n’y sont pas et Rinco se retrouve nez à nez avec Hermès la truie qui vit dans une soue grandiose à côté du bâtiment principal. Sa mère, qui se soucie comme de l’an quarante de ce qu’elle donne à manger aux humains dans son bar Amour, ne nourrit sa truie qu’avec des produits de l’agriculture biologique. Le pompon étant le pain au levain pétri à la main, commandé dans une célèbre boulangerie de Tokyo. Rinco est quand même acceptée au domicile maternel, mais elle doit payer sa nourriture et un loyer. Elle lui emprunte aussi de l’argent à un taux quasi usuraire pour transformer le bâtiment annexe en restaurant. Hermès est la première à le tester. Rinco lui a fait du pain en mélangeant des glands à la pâte. Essai concluant. Au bout d’un mois de travaux, le restaurant a pris forme. Avec des meubles de récupération, un vieux poêle à bois, un lustre à bougies en verre soufflé qui dormait dans la remise attenante. Dans la cuisine, ni lave-vaisselle, ni micro-ondes, mais une gazinière, un four et un réfrigérateur ainsi que de la vaisselle qui venait de sa grand-mère.

La Favorite qui aurait pu en mourir en ressort ressuscitée

Le restaurant est baptisé L’Escargot car avec lui sur son dos Rico avancera lentement. On y sert une seule table par jour avec au menu ce que les clients ont commandé. Kuma est le premier et il a demandé un curry qui lui rappelle ce que lui cuisinait son ancienne compagne, une Argentine. Ce sera un curry iranien découvert dans son restaurant turc, un curry à la grenade à la saveur aigre-douce confectionné avec des fruits cueillis dans la forêt. Un curry gagnant. Suivra un repas destiné à La Favorite, une ancienne maîtresse d’un notable local et qui ne se déplace plus qu’avec une canne. Pour lui redonner goût à la vie Rico lui sert des pommes en saumure, un carpaccio d’huîtres, du poulet de Hinai, un risotto de riz nouveau à la poutargue, une selle d’agneau rôti, un sorbet de yuzu, un tiramisu au mascarpone avec sa boule de glace à la vanille et un expresso serré. La Favorite qui aurait pu en mourir en ressort ressuscitée. À chaque fois la cuisine de Rico fait mouche, que ce soit avec un repas français végétarien ou un simple menu pour enfants. Elle s’en donne du mal, goûtant des navets rouges conservés sous la neige, cueillant des châtaignes, des fruits à coque ou le matabi un kiwi local dans les bois. On ne vous conseille trop de lui rendre visite. C’est touchant, poétique, généreux, revigorant, garanti avec des produits locaux sans pesticides. Vous éviterez le fugu, ce poisson prisé des Japonais, mais qui mal préparé est mortel. Ça ne se refuse pas.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *