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Le blog de Laurent Bisault

Shit, Jacky Schwartzmann, Éditions Le Seuil

Mai 13, 2023 #Le Seuil

Ce qui distingue Thibault de Frédéric Blanchard, alors qu’ils sont tous deux de gauche, c’est que son collègue est insoumis et non socialiste. Que Blanchard en plus d’être professeur est un éternel révolté, on dirait DJ Staline. Mais surtout qu’il pue de la gueule. On croirait qu’il chique des chaussettes sales. En réalité Frédéric Blanchard est un con qui de temps en temps voit juste, même s’il vit du bon côté, celui des quinquagénaires blancs hétérosexuels. C’est ce qui arrive quand ce Trotski des salles de professeurs alerte Thibault, jeune conseiller principal d’éducation (CPE) fraîchement débarqué au collège Voltaire de Besançon, sur le cas de la petite Dounia Belhabchia. Dernière de sa fratrie, élève brillante, première de sa classe, elle veut devenir aide-soignante. Il convient donc de l’orienter en seconde générale, et de la convaincre qu’elle est taillée pour les études de médecine.

C’est ici qu’il élabore sa théorie sur les Albanais et la sodomie

Thibault est un mec bien qui s’interdit le racisme tout en pensant que les Albanais sont des enculés. Ce n’est pas un hasard car à la Planoise la cité de Besançon où il habite, les frères Halim et Elvis Mehmeti tiennent un four, un point de deal. Du shit, rien que du shit, pas de crack, c’est au moins ça. La distribution protégée par une porte blindée s’opère au premier étage d’un immeuble. Tous les résidents doivent exhiber une attestation de domicile pour y accéder. L’appart de Thibault est en face de la porte. C’est dans ce lieu agréable à vivre que Thibault prend connaissance du règlement intérieur de l’immeuble, qu’on lui explique avec des baffes. C’est ici qu’il élabore sa théorie sur les Albanais et la sodomie. On n’en saura pas davantage sur l’éventuelle présence de renflements bruns sur l’anus des Illyriens. On apprend par contre que les deux frangins des Balkans se font dilater, et même exploser, éparpiller puisqu’ils tombent sous les balles de concurrents puissamment armés. Même si le fond est bon chez lui, Thibault s’en réjouit car cela lui évite de se faire à nouveau tataner le museau. Les meurtres lui permettent aussi de s’emparer d’une partie de l’argent du shit. Cela dit, que faire d’autant de biffetons quand on n’est pas dépensier ? En faisant le bien autour de soi. L’idée est socialement défendable, mais rappelons quand même que manipuler l’argent de la drogue est une activité dangereuse.

Rien ne les fera mieux vivre que le trafic de drogue

Bonne pioche, excellente pioche avec ce polar déjanté, qui semble réinventer les meilleures réussites des années quatre-vingt. C’est drôle du début à la fin, un peu à l’image de ce que savait faire Joseph Bialot dans le Le salon du prêt-à-saigner. C’est haletant tant on s’attache aux personnages, et social comme tout bon roman noir réussi se doit d’être. Shit c’est d’abord le récit d’une cité de Besançon que Jacky Schwartzmann connaît pour y avoir vécu, et où il a selon ses dires passé une enfance de rêve. Si on ajoute qu’il a également été Emploi-Jeune à Voltaire, en lien direct avec la CPE, c’est dire si le roman possède un fond autobiographique. Elle est rude cette cité désormais privée de toute mixité sociale, avec 70 % d’Arabes 20 % de Noirs, et quelques réfugiés syriens qui ne rêvent que de se tirer. À La Planoise les habitants ont appris la démerde pour s’en sortir. De façon sympathique comme ce candidat à un CAP, qui devait souder toute une série de tuyaux sans qu’aucun ne fuie. Et qui pour réussir avait préalablement placé une pastille de métal dans le robinet. Certains se font discrets pour passer entre les gouttes. D’autres ont compris que rien ne les fera mieux vivre que le trafic de drogue. Quand l’État considère que tu n’existes pas, à toi d’imaginer ton modèle économique. Il alimentera les choufs qui circulent en scooter, et les charbonneurs qui gèrent l’argent et la marchandise. L’alternative pour tous ces oubliés du système c’est le social. Le soutien scolaire pour compenser ce que les profs à la fragrance anisée n’ont pas su donner à leurs élèves. Le financement des voyages à l’étranger. Le paiement d’un logement décent pour celles, parties étudier à Paris, qui ne survivent qu’en vendant leur cul. Mais tout cela demande de l’argent. Bien plus que ce que gagne un humble CPE.

Qu’en dit Bibliosurf ?
https://www.bibliosurf.com/Shit.html

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