C’est un huis clos qui se déroule intégralement dans le bureau d’un juge d’instruction où Martial Kermeur vient d’être amené menotté. Et cet ancien ouvrier de l’Arsenal de Brest, licencié comme ses collègues avec 400 000 francs d’indemnités, raconte comment il a foutu à la mer le promoteur Antoine Lazenec. Pendant une partie de pêche aux crabes sur le bateau de Lazenec, un Merry Fisher de neuf mètres. Sa vie y passe, au moins depuis son licenciement de ce qui fut le gagne-pain de tant d’ouvriers de la rade de Brest. Sa femme qui est partie, son fils Erwan qui lui fut confié par la justice. Comment il a été embauché par le maire de son village pour s’occuper du « château ». Pas vraiment un château, mais une belle demeure appartenant à la commune, sise au milieu d’un vaste parc qu’il devait entretenir tout en faisant visiter les éventuels acheteurs. Avec en compensation, le droit d’habiter la petite dépendance de 45 mètres carrés en pierre bretonne. Elle manquait de lumière mais lui permettait de voir l’océan. Lazenec fut cet acheteur, débarquant un jour pour clamer à qui voulait l’entendre qu’il y avait ici du potentiel pour sortir le pays de la misère. La maquette qu’il exhiba séduisit avec son petit immeuble de 30 appartements face à la mer. En lieu et place du château. Kermeur fut de ceux qui achetèrent sur plan, alléché par les promesses de rentabilité du Madoff finistérien. Mais si les travaux débutèrent, arasant la belle bâtisse communale, ils n’allèrent pas plus loin. Et personne n’osait se plaindre de celui qui menait grand train, roulait en Porsche et se pavanait au milieu des notables dans les loges du stade de foot à Brest. Personne même pas Le Goff le maire du village qui disparaissait peu à peu dans l’alcool avant de se tirer une balle dans la tête. Personne alors que tous avaient compris comment l’histoire se terminerait : par la faillite de ces petites gens qui s’étaient vus trop beaux, trahissant même leurs conditions ouvrières. Le plus lucide était sans doute Erwan Kermeur, désormais dix-sept ans, qui ne pouvait pas ne pas voir comment sombrait son père. Comment disparaissaient ses projets d’achat d’un bateau financé par l’indemnité de licenciement. Alors Martial Kermeur explique que l’histoire ne pouvait se terminer autrement au risque de se retrouver dans le cabinet d’un juge d’instruction.