Surbooké

Le blog de Laurent Bisault

Bel-Air, Lionel Salaün, Éditions Liana Levi

Nov 2, 2015 #Liana Levi

C’est l’histoire d’une France que l’on a déjà oubliée. Celle de la fin des années cinquante. De Brassens qui faisait scandale en chantant Gare au gorille ou de Piaf qui incarnait la modernité Celle des meubles en formica qui allaient succéder au bois. Celle aussi des cités des ouvriers et des employés poussés loin des centres-villes réservés aux notables. On y résidait entre Français qui avaient déjà dû assumer la perte de l’Indochine et qui se préparaient à celle de l’Algérie. Alors autant dire que les rares Arabes n’y étaient pas les bienvenus. Gérard et Franck ont grandi dans la cité de Bel-Air perchée sur une colline d’une anonyme sous-préfecture. Tout le monde s’y connaît. On ne transgresse pas facilement les règles qui interdisent à une femme seule de voir un homme sans être jugé. Ou à un adolescent de fréquenter trop assidûment sa petite amie avant le mariage. Car les ventres s’arrondissaient facilement à cette époque. Gérard et Franck sont comme deux frères, si proches depuis leur naissance mais si distincts. Gérard est le fils des tenanciers du bistrot, le Bel-Air, haut lieu des rencontres pour une partie des habitants du quartier. Franck vit avec sa mère qui feint d’attendre le retour du père depuis longtemps disparu. Gérard est fort en gueule et en muscle. Franck est un taiseux, qui ne parle quasiment pas avec sa mère. Et pas beaucoup plus avec les autres hormis « l’ingénieur », un curieux client du Bel-Air qui écoute même du jazz. Avantage de l’époque : on ne faisait pas beaucoup d’études mais on trouvait du boulot. Au café pour Gérard qui est programmé pour succéder à ses parents et redonner un nouvel élan à l’établissement familial. Comme homme de peine pour Franck qui préfère encore se tordre le dos en soulevant des caisses plutôt que de continuer le lycée. Leurs copains sont mécanos, cuisiniers ou vivent de leur talent local de footballeur. Rien qui ne permette de quitter la cité. Ni pour la grande ville et pas davantage pour se rapprocher des beaux quartiers. L’État français va pourtant y remédier en offrant un séjour d’une vingtaine de mois aux jeunes hommes histoire de mettre un peu d’ordre de l’autre côté de la Méditerranée. Alors on se trouve bien content d’être devenu soutien de famille comme Gérard après la mort de son père. Ou encore d’avoir épousé Chantal comme Antoine le mécano. Ça vous dispense d’aller visiter les Aurès ou la Kabylie dans une guerre qui ne dit pas son nom. Frank n’a pas cette chance même s’il dépose presque tout son salaire sur la table de la cuisine familiale. Et s’il aspire à épouser Cathy, une fille du centre-ville qui se cache de ses parents pour le voir. Alors Franck tente d’interférer dans son destin. Deuxième roman de Lionel Salaün, Bel-Air vous laisse malheureux d’avoir quitté de tels personnages.

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