Pas vraiment une nouveauté. Est-ce une raison pour ne pas lire ou relire une des œuvres essentielles de celui qui passe pour un des plus grands intellectuels français du XXe siècle ? Pas uniquement parce qu’il reçut le Prix Nobel de littérature en 1957, mais aussi parce qu’il comprit rapidement les dangers du totalitarisme au contraire de beaucoup de ses contemporains. Le roman se déroule à Oran dans les années 40. Même si Camus n’appréciait pas cette ville, il la connaissait car il était né en Algérie. Au début de l’histoire apparaît un rat mort sur le palier de l’appartement du docteur Rieux, principal personnage du roman. La présence du rongeur vexe le gardien de l’immeuble qui y voit une atteinte à sa bonne réputation. Un rat puis bien d’autres, morts ou qui viennent mourir dans l’immeuble, et un peu partout en ville. Survient le premier décès, celui du gardien touché par la fièvre. Puis d’autres, tous semblables : de la fièvre, des abcès et des ganglions. La presse, si bavarde sur la mort des rats, ne dit pas mot sur les décès. Première étape à franchir : oser nommer l’épidémie. Même les médecins hésitent à le faire. « Naturellement vous savez ce que c’est ? » dit le docteur Castel à Rieux. « J’attends le résultat des analyses » lui répond Rieux, qui se refuse encore à envisager le pire. On le comprend car la peste a laissé les pires souvenirs de l’histoire, tuant, nous dit Camus, dix mille morts en une journée à Constantinople. Et on pourrait ajouter près de la moitié des Européens pour la grande Peste noire au XIVe siècle. Le diagnostic enfin posé, rien n’arrête l’épidémie, et surtout pas les sérums. La ville est bouclée, ce qui va profondément changer la vie de ses habitants. Certains cherchent à s’enfuir, prétextant qu’ils ne sont pas d’ici et qu’un être aimé les attend. D’autres profitent de la situation pour s’enrichir avec le marché noir qui permet aux plus aisés de conserver un certain niveau de vie. Plus qu’une simple histoire, Camus nous propose une réflexion sur les Hommes. On est obligé de penser au nazisme qui, quelques années plus tôt, s’est abattu sur l’Europe. Comme lors de l’avancée des armées hitlériennes vers l’est, les corps sont tout d’abord déposés dans des fosses communes, avant d’être recouverts de chaux vive et de sable. Au moins les malades oranais n’avaient-ils pas dû creuser leurs tombes comme l’avaient fait les Juifs en Ukraine. Puis faute de place, on incinère leurs corps avec les odeurs qui allaient avec. Dans cette débâcle Rieux résiste avec d’autres jusqu’à ne plus pouvoir supporter la mort de ses patients. Le modeste employé Joseph Grand met sa connaissance de la bureaucratie au service de la communauté. Rambert le journaliste renonce à ses projets d’évasion, car il est désormais convaincu que son destin se fond avec celui des Oranais. Mais nous dit Camus, le bacille de la peste ne disparait jamais. Et il peut donc renvoyer les rats agoniser au sein d’une cité heureuse.