Pour ceux qui auraient pu encore en douter, Franck Bouysse est définitivement un grand écrivain. Lisez donc Glaise et vous nous en donnerez des nouvelles. Après Plateau et Grossir le ciel, il trace son sillon de romancier noir rural, abandonnant cette fois la Corrèze et la Lozère pour nous emmener dans le Cantal pendant la guerre 14-18. « Une guerre décidée par les gens qui ne la feront jamais et faite par les gens qui ne la décident pas » comme il se plaît à le rappeler. Pourtant cette guerre nous ne la verrons pas puisque toute l’action se déroule dans des hameaux perchés au-dessus de Salers, au pied du mont Violent. L’annonce du conflit vient de priver les familles de tous les hommes, sauf ceux exemptés au bénéfice de l’âge et les estropiés. Chez les Landry, Victor y a eu droit, et il se dirige donc vers la gare d’Aurillac première halte avant la boucherie. Il laisse dans sa ferme Mathilde sa femme, Marie sa mère qui ne tardera pas à mourir, ainsi que Joseph son fils de quinze ans. Un peu plus bas réside le vieux Léonard, un ami des Landry, qui va éveiller Joseph à la vie en l’absence de Victor. Et puis il y a Valette, le fermier d’à côté, perclus de rage et de haine, dont il faut toujours se méfier. Et s’il a perdu une main, ce n’est pas pour autant qu’il est devenu moins malfaisant. Chez Valette dont le fils a lui aussi été appelé, arrivent Hélène et sa fille Anna envoyées par le frère du fermier pour la durée du conflit. Le choc est rude pour les deux femmes habituées à la ville. Elles doivent pourtant se mettre aux travaux de la ferme, car la vie est d’autant plus dure dans ces montagnes que l’armée française ne se prive pas de réquisitionner chevaux et bœufs pour nourrir les soldats. Mais ce n’est rien pour elles, en comparaison de ce que leur font subir Valette et sa femme. Arrivent les premiers courriers du front qui n’annoncent jamais de bonnes nouvelles, la factrice étant la préposée aux annonces mortuaires. Glaise est un roman sur l’amour que découvrent Joseph et Anna en se cachant au mieux pour éviter le qu’en-dira-t-on. Sur la transmission d’un aîné vers un jeune homme, sur la haine d’une famille occupée à se détruire autant qu’à nuire aux autres. C’est surtout, comme souvent chez Bouysse, un roman sur les beautés et les duretés de la nature. Celles que reproduit Joseph le soir dans son coin en sculptant la glaise qu’il a récoltée. Celles des animaux protégés par les fermiers, comme le fait Léonard avec sa vieille mule. La beauté de la pêche à la truite que Joseph fait découvrir à Anna qui le lui rendra bien. Mais c’est aussi un roman noir en raison des coups bas que les hommes ne cessent de renouveler. Bonne nouvelle, le dernier Bouysse Né d’aucune femme, est paraît-il très réussi. On ne devrait pas tarder à le vérifier.