Surbooké

Le blog de Laurent Bisault

Confusions, Marie Tanguy, Éditions Jean-Claude Lattès

Sep 18, 2020 #Jean-Claude Lattès

Il y a plusieurs façons d’aborder ce livre qui relate la plongée d’une jeune femme dans la campagne électorale d’Emmanuel Macron. La narration de ce qu’a vécu Marie Tanguy, jeune trentenaire que les golden boys macroniens ont été chercher à la CFDT pour écrire une partie des discours du candidat. Une réflexion sur la manière dont se déroule la conquête du pouvoir et les compromissions qui vont avec. La folie qui s’empare de jeunes têtes bien faites, persuadées qu’elles savent tout mieux que les autres. Ou encore l’impossibilité de s’inscrire durablement dans une équipe destinée à gouverner si on n’a pas fait les bonnes écoles tout en étant sévèrement testostéroné. Confusions c’est tout cela à la fois et c’est ce qui rend le bouquin intéressant. Marie Tanguy, études à Sciences Po, origine modeste, famille dans le Lot, est démarchée pour rejoindre l’équipe de celui qu’elle appelle EM. Elle se considère comme faisant partie de la deuxième gauche, celle que Michel Rocard a longtemps incarnée, elle n’a pas de passé syndicaliste, mais a trouvé son équilibre en travaillant dans le collectif qui entoure Laurent à la CFDT. Laurent, c’est Laurent Berger, dont elle refuse de donner le nom comme tous les personnages qu’elle côtoie dans son récit. « Macron ce n’est pas Rocard » lui répond le premier secrétaire de sa conf. Elle le sait mais Macron c’est jeune, ça se veut aussi de gauche, ça parle écologie et numérique alors banco. Marie se retrouve dans le bureau occupé par le groupe Idées au 99 rue de l’Abbé Groult dans le XVe arrondissement de Paris. C’est petit, beaucoup trop petit car ils sont cinq, ça renifle la transpiration et la nourriture. « Ça sent le fauve chez les Idées » glisse Sibeth quand elle parle d’eux. On lui concède une place, on la dote d’un ordi, un Mac, forcément un Mac, on n’est pas chez les ploucs. On l’initie à Telegram la messagerie cryptée avec laquelle tous les échanges se font. Écrire pour EM ne signifie pas travailler à ses côtés, le taf étant particulièrement hiérarchisé. Elle a en charge les premiers jets qui sont obligatoirement relus et réécrits par Ismaël (Emelien) la tête pensante en charge du programme. Si tous travaillent comme des dingues, lui est encore plus actif. Cet homme est-il seulement capable de dormir alors qu’il envoie régulièrement des messages à deux heures du matin? Pas d’Emmanuel donc mais parfois Brigitte, qui fait le tour des bureaux. Dans cette atmosphère stressée, elle apporte des confiseries et un peu d’humanité aux équipes. Marie ne cesse de se demander si elle est au niveau, tant ceux qui l’entourent semblent avoir rayé ce terme de leur vocabulaire. Ils sont là pour écrire le programme, alors ils envoient. Manu a promis de s’attaquer aux rentes, une obsession chez lui depuis la Commission Attali, ils vont donc butter les régimes spéciaux. Réformer la fiscalité des successions ? Même pas en rêve. Pourtant ça lui plairait à Marie.

Les corps intermédiaires ne sont que des lobbys néfastes

Avec les bons sondages, les ralliements se multiplient autour du candidat qui devient plus téméraire, promettant à ceux qui viennent le voir ce qu’ils ont envie d’entendre. L’équilibrage des comptes, dont se gausse toute l’équipe en prend un coup ? Pas d’importance on fera avec. Les journées sont longues, Marie mange de plus en plus mal, presque toujours au bureau. Son corps s’avachit, elle a arrêté le sport, elle rentre tous les soirs en Uber faute de métro. Elle a même délaissé son amoureux, mais elle est contente d’en être, de travailler avec ces génies. Parfois les doutes l’assaillent comme le jour où elle doit préparer le discours pour la visite d’EM à La Réunion. On ne lui demande pas de connaître le sujet mais d’écrire en s’appuyant sur le savoir de l’équipe spécialisée sur le sujet. Petit problème, ils ne se supportent pas et passent leur temps à se débiner, alors qui croire ? Sans même songer à s’imposer, Marie a du mal avec le plus brillant des golden boys : David (Amiel). L’étoile montante de la macronie est un pur génie. Bac à 15 ans, normalien grandi dans les beaux quartiers, aussi à l’aise en économie qu’en histoire, et surtout aucun doute sur ses capacités. Pour lui les corps intermédiaires ne sont que des lobbys néfastes, ce qui est quelque peu compliqué à avaler pour celle qui vient de la CFDT. La concertation ? Elle se réduira à faire de la pédagogie sur ce qui aura déjà été décidé. Marie trouve quelques soulagements chez les rares femmes de l’équipe, mais trop peu. Elle finit par partir avant le premier tour vaincue par un burn-out et le sentiment de ne pas être à sa place. On lui souhaite de se reconstruire en se posant une ultime question : aurait-ce été différent dans une autre équipe ?

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