Soixante-dix ans après sa première médaille olympique, on se souvient encore de lui. Et pour cause puisqu’il a été le plus grand coureur de fond de tous les temps. Celui qui battait record sur record. Émile Zatopeck a ainsi traversé les années pour rester dans un coin de notre mémoire, lui qui ne cherchait jamais la gloire. Jean Echenoz nous en livre un portrait dans un petit livre particulièrement accessible, ce qui n’est pas toujours le cas chez ce grand écrivain. Rien ne disposait Zatopek à pratiquer l’athlétisme. Rien si ce n’est à coup sûr ses gènes. Parce que du côté d’Ostrava en Tchécoslovaquie là où il était né, il fallut pas mal de circonstances pour pousser Émile sur une piste. Il se serait bien contenté de son emploi chez Bata, mais voilà les Allemands ont envahi ce territoire histoire de porter secours aux Sudètes. Ils décident donc d’organiser une course entre les Übermensch et une bande de Tchèques faméliques, déguenillés, histoire de bien montrer quelle était la race supérieure. Par chance Émile ne finit que deuxième, car une place de moins et c’était les ennuis assurés. Il se prend quand même au jeu et s’entraîne sérieusement. Que Zatopek fût doué, on le comprit rapidement. Mais il révolutionna aussi la manière de se préparer en travaillant sa vitesse. Reste quand même son style qui questionna tous les spécialistes. Zatopek courait en balançant sa tête, grimaçant, mais il refusa toujours de modifier son allure. Le style du coureur n’était pour lui rien d’autre qu’une connerie. Seule l’efficacité comptait. Arrivent les jeux de Londres en 1948. Zatopeck gagne le 10 000 mètres en accélérant brutalement à mi-course. Fatigué à l’arrivée ? Apparemment pas parce qu’il trottine la ligne franchie avant de demander un verre d’eau. Quatre ans plus tard, il remporte le 5 000 mètres, le 10 000 et le marathon qu’il n’avait jamais couru. Zatopeck est une idole dans son pays. Une idole qui va se heurter à la nouvelle donne politique. Le temps est venu des Procès de Prague. On arrête, torture, fait avouer et on pend ceux qui sont dénoncés comme ennemis du pouvoir. L’industrie locale du chanvre ne s’est jamais si bien portée. Or le parti communiste n’a qu’une peur, que Zatopek profite d’une course à l’étranger pour y rester. Il n’en a jamais eu l’intention mais il doit se plier aux ordres. Après les morts de Staline et de Gottwald, l’étau se desserre. Zatopek part à Melbourne pour courir le marathon. Sur le déclin il finit sixième. Sa vie aurait pu se terminer tranquillement quand les Soviétiques reviennent à Prague en 1968. Zatopeck qui soutenait Dubček est envoyé dans une mine d’uranium. Respire c’est bon pour la santé. Six ans plus tard, il est promu éboueur à Prague. Mauvaise idée, les habitants le reconnaissent, les éboueurs refusent qu’il porte les poubelles, et il est acclamé quand il court derrière le camion. On lui trouve donc un autre poste. On ne touche pas à un tel champion !