Dans un monde normal Maria Roderich n’aurait jamais dû diriger cette grande propriété viticole, La Principal, sise quelque part dans les Pyrénées catalanes. Mais en 1891, le grand domaine viticole de la famille Roderich entra dans une autre époque, celle du phylloxéra. Cette maladie de la vigne avait jusqu’alors fait leur fortune en s’abattant trente ans plus tôt sur les vignobles français. Car il fallait bien que le négoce s’approvisionne quelque part, et le père de Maria l’avait anticipé en investissant dans la qualité. Ses chais rengorgeaient de bonnes bouteilles et non de simples fûts destinés aux grossistes. En 1891 le riche propriétaire décida donc de migrer à Barcelone en y emmenant ses quatre fils. Robert l’aîné devait y faire ses études de médecine, Ernest de pharmacie, Luís de droit et Joan le petit dernier voulait devenir curé. Quant à Maria il lui incombait à 20 ans de demeurer à La Principal, son avenir sacrifié pour l’honneur de la famille. Dans un monde normal, la vie de Maria aurait dû être mortelle d’ennui, avec au mieux pour objectif de faire un bon mariage. Mais comme nous sommes dans un roman et que Luís LLach n’a que faire de la normalité, le chef de la famille Roderich décéda rapidement d’un infarctus ce qui amena la fratrie à découvrir le testament paternel. Alors que Robert s’attendait à hériter du domaine, et de ses bouteilles qui lui auraient fourni d’abondantes liquidités, il découvrit que tout cela revenait à Maria. Peu importe sa colère et le dépit de ses frères, on ne remet pas en cause un testament fait devant notaire. L’histoire de trois femmes, Maria Roderich dite La Vieille, sa fille Maria Magí et sa petite-fille également prénommée Maria, qui façonnèrent le domaine pendant un siècle pouvait commencer. La Vieille sut affronter la catastrophe sanitaire. Elle régna en maîtresse à La Principal au point de déplacer ses 130 kilos dans une chaise à porteurs avant de se réfugier dans la Phalange, ce mouvement qui accompagna Franco au pouvoir. Maria Magí fit un choix inverse, que l’on devine plus proche de celui de Luís LLach, en assumant son opposition au régime dictatorial. Non qu’elle rentrât en politique, cela n’aurait guère été possible, mais Maria la seconde fut une femme libre qui ne cacha jamais son hostilité à l’Église. Son statut social la protégea en partie, mais il fallait du courage pour mettre dans son lit un simple ouvrier agricole du domaine parce que c’était son homme, fût-il bisexuel. Elle le défendit sans compter quand il fut accusé de meurtre à la fin de la guerre civile. Et ce n’était pas rien car l’Église comme le pouvoir en place ne voulaient que du mal aux homosexuels. Quant à la troisième Maria, elle ne joue qu’un rôle mineur dans le roman même si elle perpétue la force des femmes de la famille. Tout cela donne un bouquin passionnant, une ode aux femmes complétée par le portrait d’Úrsula qui traverse les générations, un temps nourrice puis femme de confiance, veillant sur ses protégées. Des femmes qui résistent à tout sauf au bonheur.