Surbooké

Le blog de Laurent Bisault

Dans le jardin de l’ogre, Leïla Slimani, Éditions Gallimard

Déc 8, 2018 #Gallimard

Adèle et Richard sont mariés, jeunes parents. Mais Adèle a un secret : elle ne peut jamais résister à la tentation de se rendre dans le jardin de l’ogre… L’ogre ? En principe, tout le monde sait ce que c’est : une créature imaginaire, disproportionnée et dévorante. Mais ici, les ogres sont les hommes, créatures qui jouent dans le théâtre intérieur d’Adèle un rôle disproportionné et dévorant, dont elle a besoin pour que quelque chose hurle plus fort en elle que son enfance mutilante. Le sujet annoncé, c’est celui de la nymphomanie. Alors bien sûr, il y a des attentes faciles : on s’attend à des phrases comme « L’érotisme habillait tout. Il masquait la platitude, la vanité des choses. », et on en trouve. Et c’est facile pour l’éditeur de vendre le livre en déclarant qu’il « fait grimper la température ». C’est facile, et ça marche : on a envie de le lire, et on y trouve bien tout cela, érotisme et descriptions sexuelles explicites. Mais voyons, soyons sérieux. Facile, vraiment, ce livre ? En 2018, dans un monde post-Catherine Millet, réussir à choquer en décrivant les secrets de la vie sexuelle d’une femme, même par le menu, c’était un pari complètement fou, perdu d’avance… Donc s’il est réussi, ce n’est pour aucune des raisons que vous pouvez imaginer : aucune surenchère de pratiques hors normes. Au contraire : pour un livre présenté comme un texte qui « fait grimper la température », il nous prend par surprise en la faisant sacrément chuter au fur et à mesure que l’on devine les ressorts de la nymphomanie d’Adèle et la charge de souffrance qui lui est associée. La plongée dans les racines de son mal-être s’avère choquante… L’auteure n’a reculé devant aucun indicible, même si elle a su le faire avec légèreté lorsque le degré de suffocation de la situation l’exigeait : c’est là, à ce point exact, qu’est l’acte de naissance d’un très grand écrivain. Alors Leïla Slimani a eu le Goncourt pour son roman suivant, mais je prends les paris : c’est au moins autant pour Dans le jardin de l’ogre qu’on le lui a décerné. Après tout, ne reculer devant aucun indicible, c’est aussi ce qu’elle a fait dans Chanson douce… Sous sa plume, les événements humains les plus dérangeants, pour impossibles à affronter dans la réalité qu’ils soient, méritent un regard d’artiste pour que nous puissions nous y confronter quand même et avoir une chance de les exorciser.

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