Dans la famille Pisier on connaît surtout Marie-France, la magnifique actrice disparue récemment. Alors raison de plus pour découvrir sa sœur aînée Évelyne et leur mère dans une biographie écrite à quatre mains. Évelyne n’ayant pas eu le temps de la terminer, son éditrice Caroline Laurent s’en est chargée. Elle a au passage agrémenté le récit d’éléments sur leur amitié. Est-ce pour se protéger, on ne le sait pas. Mais Évelyne Pisier a changé son état civil. Elle est Lucie et sa mère Mona, elles ne sont plus Pisier mais Desforêt. Son livre retrace toutefois leur véritable vie dans une histoire enthousiasmante que vous n’êtes pas prêts d’oublier. On s’attache follement à Mona et Lucie qui évoluent au cours du temps au point de devenir deux symboles de la libération des femmes. Pourtant rien ne les prédestinait à une telle existence. Mona avait épousé un haut fonctionnaire en poste en Indochine. Vieille France, pétainiste, admirateur de Charles Maurras, André Desforêt détestait les Juifs. L’invasion de la colonie par les Japonais constitua un premier et rude obstacle pour ces nantis de l’Annam. Mona se retrouve dans un camp avec Lucie face à une cruauté qui marqua toute l’Asie. Elles en sortent vivantes malgré un viol et repartent une fois libérées en métropole avant de revenir en Indochine. En 1950, les Viêt-Minh incendient le marché de Saïgon ce qui pousse la famille à déserter le pays. Ils migrent à Nouméa où le père de Mona est administrateur de la Banque d’Indochine. André échange ses Niakoués pour des Nègres mais il récupère son statut social. Mona continue à vivre sa vie de privilégiée, à aimer son mari et Lucie à étudier. La vision du monde de Mona va pourtant évoluer. D’abord parce qu’elle rencontre Marthe, la bibliothécaire qui va lui faire lire Le deuxième sexe de Simone de Beauvoir. Ensuite parce qu’elle s’éprend d’un homme qui va devenir dans son récit l’Amant. Il dirige un centre équestre et initie Mona à l’équitation, ce qui l’autorise à porter le pantalon. La Nouvelle-Calédonie étant une petite île, l’infidélité de Mona devient rapidement publique. Pour se laver de cette honte, André fait pression sur Lucie par l’intermédiaire de son enseignante catholique. En l’absence de rémission, sa mère sera vouée à l’Enfer. Mona se rebiffe, arrache le divorce et part en France retrouver ses parents avec Lucie et son jeune fils. Elle cède pourtant à l’attrait d’André qu’elle épouse à nouveau à l’occasion d’un de ses voyages en métropole. Une immense satisfaction pour son mari qui compte ainsi laver son honneur en ramenant sa femme volage à Nouméa. L’espoir est vain puisque Mona divorce à nouveau et quitte définitivement la Nouvelle-Calédonie. Retour à Nice où Lucie poursuit ses études qui s’annoncent brillantes. C’est à partir de ce moment que la mère et la fille se rapprochent. Elles sont belles et multiplient les conquêtes. Elles militent toutes les deux au Planning familial. On vous recommande notamment la scène où des femmes s’initient à la pose du diaphragme. Lucie participe aux actions de l’Union des étudiants communistes tandis que Mona fait connaissance des affres du statut de salariée. En 1964, Lucie part en voyage militant à Cuba. Elle devient la maîtresse de Fidel Castro qu’elle aime sincèrement, mais refuse de rester dans l’île avec le Líder Máximo qui veut lui faire un enfant. On le croit sur parole, car Castro au faîte de sa gloire, multiplie les conquêtes. Lucie rentre en France, épouse Bernard Kouchner et décroche un doctorat puis une agrégation en droit. Mona qui avait eu pour ambition de devenir médecin, mais qui n’avait pas été autorisée à faire des études, s’estime vengée. L’accès à la contraception est acquis, et la loi Veil sur l’avortement est imminente. La liberté se précise.