Surbooké

Le blog de Laurent Bisault

Deux mètres dix, Jean Hatzfeld, Éditions Gallimard

Nov 5, 2018 #Gallimard

Dans un autre temps, Jean Hatzfeld était journaliste à Libé, d’abord journaliste sportif puis reporter de guerre. Il s’en est nourri pour écrire des romans qui rassemblent souvent ces deux domaines. Cela donna d’abord Robert Mitchum ne revient pas où deux athlètes de l’équipe de tir yougoslave mettent à profit leur savoir dans les combats de Sarajevo. Ce fut aussi Où en est la nuit, qui nous emmène à la découverte d’une légende éthiopienne du marathon obligé de devenir soldat. Il réitère avec Deux mètres dix en dressant les portraits de quatre champions embringués dans une guerre moins cruelle, la guerre froide qui provoque les boycotts des Jeux olympiques de Moscou en 1980 et de Los Angeles en 1984. Des portraits pleins d’humanité d’êtres déchus sportivement mais aussi dans leur corps, usés par l’entraînement et le dopage. Des anciens adversaires déclassés socialement parce qu’ils ne ramènent plus de médailles. Tatyana Alymkul, Izvitkaya de son nom russe, et Sue Baxter sont les deux principales protagonistes du roman. Tatyana est une sauteuse en hauteur kirghize qui va triompher aux Jeux de Moscou. Sue vient d’Arizona et fera de même à Los Angeles. Faute de s’affronter aux Jeux, elles le font aux championnats du monde d’Helsinki en 1983 dans un concours qui les amène aux portes du record du monde : deux mètres dix. Elles se retrouvent trente ans plus tard au Kirghizistan quand Sue répond favorablement à l’invitation de Tatyana. Sue est atteinte d’un mal chronique, probablement un cancer car tous les athlètes de cette génération se sont ou ont été dopés. Tatyana s’en est mieux sortie, même si ses pilules lui ont un jour fait découvrir une foufoune foisonnante. Elle a aussi dû résister au régime soviétique qui avait déjà déporté ses parents en Asie centrale en tant Koryo-Saram. C’est-à-dire comme Coréens réfugiés en Sibérie pour échapper à l’invasion japonaise, puis pris en main par le petit père des peuples. À peine arrivés au Kirghizistan, ils furent envoyés en Ukraine pour retarder l’avancée de l’armée allemande. Tatyana est une miraculée du sport soviétique qui refusa longtemps de convertir ses sauteurs au Fosbury-flop, la technique de saut que l’Américain Dick Fosbury fit triompher aux Jeux de Mexico. Aux Jeux de Moscou, Tatyana fait la rencontre d’un autre Kirghize, l’haltérophile Chabdan Orozbakov. Une force de la nature qui ridiculise ses concurrents. Une idole dans ses montagnes mais aussi un nationaliste qui n’admit jamais la colonisation russe de son pays et qui profita de sa médaille pour arborer un drapeau kirghize. Le KGB qui ne le quittait pas envoie Chabdan dans un goulag où sa force fait des miracles pour abattre des arbres mais ne lui évite pas les balles de ses gardiens. Randy Wayne, qui lui succède au palmarès à Los Angeles, fait le voyage de Bichkek pour lui rendre hommage. Le Kirghizistan est désormais indépendant et la vénération de Chabdan n’a pas diminué. Randy qui a passé sa vie à « casser du rouge en compétition », a compris le bonheur qu’il aurait eu à rencontrer le roi des haltérophiles.

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