Comment un des pires criminels nazis, le médecin d’Auschwitz, a-t-il pu échapper à un jugement ? C’est la question à laquelle répond Olivier Guez dans un livre présenté comme un roman mais qui est en fait une longue enquête. Guez nous amène plusieurs explications. Les filières nazies très actives après la défaite du Reich. La complaisance des dictatures d’Amérique du Sud idéologiquement proches des Nazis. La diaspora allemande, la richesse de sa famille et la prudence de Mengele qui resta pendant toute sa cavale sur le qui-vive. On pourrait ajouter un peu de chance car deux fois il fut à deux doigts d’être arrêté. La première fois ce fut quand l’armée américaine l’interna en 1945 dans un camp de prisonnier, mais elle fut bernée par ses faux papiers au nom de Fritz Ullmann. En tant que SS, Mengele aurait dû être tatoué de son numéro de matricule, mais il l’avait refusé pour des raisons esthétiques. Après un court séjour dans une ferme de Bavière, il aboutit à Buenos Aires via Gênes avec des papiers au nom d’Helmut Gregor. En Argentine Juan et Evita Perón tentent de transformer le pays avec une conception très restrictive de la démocratie. Agissant au nom du peuple, ils s’assoient sur les libertés publiques et n’oublient pas non plus ce qu’ils doivent aux Allemands qui ont formé militairement Juan Perón. La preuve en est que le dictateur avait interdit que l’on annonce en Argentine la nouvelle de la chute du Reich. À Buenos Aires Mengele retrouve d’anciens tortionnaires nazis qui, comme lui, ne regrettent rien et envisagent un avenir radieux. C’est dans ce cercle de nostalgiques qu’il décline pour la première fois sa véritable identité. Il améliore son statut en devenant représentant en Argentine de l’entreprise de machines agricoles de son père. En 1956, la vie lui sourit. Il vient de recevoir un passeport argentin à son nom. Il va acheter une magnifique villa et son mariage avec sa belle-sœur se prépare. Mais un danger le guette : Adolph Eichmann l’organisateur de la Solution finale qui est réfugié en Argentine. En 1956, un procureur allemand émet un mandat d’arrêt contre lui. Or Eichmann ne se cache pas et prétend même laver son honneur. Eichmann et Mengele se détestent mais Eichmann risque d’emmener Mengele en prison. Il y va d’ailleurs pour un court séjour, mais pour une simple affaire d’avortement. Terrorisé par les procédures en cours, Mengele fuit au Paraguay. En 1960, le danger se précise avec le kidnapping d’Eichmann par le Mossad. Eichmann est rapatrié en Israël pour être jugé puis exécuté. Mengele est le prochain sur la liste. Il a une nouvelle fois une chance insolente. Les services secrets israéliens l’ont repéré mais ils reçoivent l’ordre de revenir au pays pour traiter une affaire interne. Mengele en profite pour fuir une fois de plus. Cette fois au Brésil où il perd tous les avantages de sa fortune. Sa vie n’est plus qu’une longue déchéance dans l’angoisse d’être arrêté. En 1976 son fils Rolf consent à lui rendre visite. Son témoignage est édifiant. Joseph Mengele ne reconnait aucun crime. Lâché par Rolf, sa fin n’en est que plus sordide.