Ne serait-ce que parce que le sémillant libraire Gérard Collard en a fait son livre de l’été, il faut lire ce livre. Ne serait-ce que parce que ce roman est une merveille il ne faut pas le rater. Nous sommes à Vienne dans les années 1930. Wilhelm Rosenheck tombe amoureux raide dingue d’Almah Kahn et Almah le lui rend bien. Seule la différence de statut social pourrait s’opposer à leur union. Car si le jeune journaliste est d’un milieu aisé avec un père propriétaire d’une imprimerie qui marche bien, Alma est la fille unique d’une famille richissime. Mais ils ont de la chance, les parents d’Alma ne refusant rien à leur fille qui termine ses études de dentiste. Ils se marient et partent passer leur lune de miel au bord d’un lac autrichien. Seul bémol à ce parcours, Wilhelm et Alma sont Juifs et être Juif à cette période en Autriche n’annonce rien de bon. Pour être plus précis, ils sont tous les deux athées et se ressentent davantage comme éléments de la bourgeoisie viennoise qu’israélites mais l’important n’est pas là. L’important est qu’avec L’Anschluss qui se prépare, seul compte la façon dont ils seront perçus. Or être journaliste, social-démocrate et Juif sont trois raisons suffisantes pour envoyer rapidement Wilhelm à Dachau. Il en sort mais doit se rendre à l’évidence : le pire est devant eux. Freud et Zweig ont déjà quitté l’Autriche. Il est temps de faire comme eux et d’abandonner leurs parents qui s’estiment protégés par l’âge. L’obtention de visas pour la Suisse tient du miracle. Le couple et leur fils atterrissent dans un camp à Diepoldsau un village suisse frontalier. Son responsable tente d’améliorer la dure condition de vie des réfugiés, mais il est rapidement démis de ses fonctions. Le fait est réel comme une grande partie de la trame du roman. Wilhelm voudrait aller à New York où sa sœur s’est installée. Pure illusion. Ainsi en ont décidé les pays participants à la conférence d’Évian en 1938. Personne ne souhaite accueillir les réfugiés, fussent-ils en danger de mort. Et surtout pas les Britanniques qui administrent la Palestine. Rassurons-nous, une telle situation ne saurait se reproduire aujourd’hui. Personne sauf Raphael Lenónidas Trujillo, le président dictateur de la République dominicaine qui offre 100 000 visas. Non qu’il ait été ému par la situation des Juifs, mais il voit là une opportunité d’améliorer son image. Lui qui a allégrement fait massacrer des dizaines de milliers d’Haïtiens. La venue d’une main-d’œuvre qualifiée constitue une autre motivation ainsi que la possibilité de blanchir son pays. Ce qui n’est pas rien pour ce personnage qui passe son temps à se poudrer le visage. Le projet d’installation est porté par le Joint, une association juive qui prépare ce qui se passera plus tard en Palestine. Il n’y aura jamais 100 000 volontaires, mais Wilhelm et Almah font partie du premier contingent débarqué dans un lieu totalement vide. Ils auront entre-temps bénéficié pendant leur voyage entre la Suisse et Lisbonne de la crème de l’hôtellerie française : le camp de Rivesaltes et celui de Gurs. Le Joint leur demande de créer le premier kibboutz de la République dominicaine. Eux qui étaient médecins, comptables, juristes voire commerçants mais en aucun cas agriculteurs. La structure se met en place dans une idéologie socialiste qui montre rapidement ses limites. Pas question par exemple d’élever les enfants à part. D’échecs en succès agronomiques, la petite communauté prend forme et le bonheur revient. Les moustiques sont là mais aussi la mer et des paysages inoubliables. Les tropiques aiguisent les sensualités. Les colons ne sont pas prisonniers dans l’île mais ils n’ont nul pays où aller. Alors autant en profiter.