Petit Rappel. Didier Daenincks est un auteur de polar français, très marqué par son engagement à gauche. Son œuvre est pléthorique mais il est surtout rentré dans l’histoire en écrivant Meurtres pour mémoire, un roman qui traitait de la manifestation du FLN le 17 octobre 1961 à Paris. Une véritable leçon d’histoire pour ses lecteurs qui apprirent là comment la police française balança à la Seine les Algériens. Il continue avec Missak sa relecture de la France contemporaine. Missak, c’est Missak Manouchian, rescapé du génocide arménien, passé à jamais à la postérité pour avoir figuré au centre de l’Affiche rouge placardée par les Nazis en février 1944 pour dénoncer la résistance étrangère. Ils sont dix, Juifs d’Europe de l’Est, Italiens, Espagnols ou Arméniens qui périrent fusillés au Mont-Valérien. Missak relate l’enquête de Louis Dragère, jeune journaliste à l’Humanité, sur la mort de Manouchian dans le Paris de 1955. Commanditée directement par Jacques Duclos, elle est censée préparer une cérémonie commémorative à la gloire de ce résistant devenu une icône du parti communiste. Elle nous permet de revisiter ce Paris si cher à Daenincks. Celui d’une ville où les ouvriers vont encore à l’usine chez Panhard-Levassor ou chez Hotchkiss, à une époque où les Français se chauffaient au charbon et où ils n’avaient pas de douche. C’est aussi l’occasion pour Daenincks de nous présenter des personnages historiques : Aznavour, de son véritable nom Aznavourian, Louis Aragon ou encore Henri Krazuki. L’enquête de Dragère l’amène à découvrir que l’ultime lettre de Manouchian, écrite juste avant son exécution, comportait un passage censuré. Celui où il pardonnait à tout le monde sauf aux traîtres qui l’avaient vendu. Pour un jeune militant du Parti, il est impossible d’imaginer que son organisation ait pu réécrire l’histoire. Ses multiples contacts avec les survivants du réseau Manouchian lui prouveront le contraire. Et pour cause puisque nous sommes encore en pleine guerre froide, une période où les règlements de compte se perpétuent à l’Est de l’Europe : dans l’Union soviétique de Staline aussi bien qu’à Prague ou à Budapest. Militant de base, Dragère découvre avec stupeur que le parti communiste français n’est pas entré immédiatement en résistance. Que le parti des fusillés a même collaboré avec l’occupant jusqu’à l’attaque de l’Allemagne contre la Russie. Sa rencontre avec Charles Tillon, qui vient d’être écarté par le Parti, lui ouvre les yeux. Celle d’Henri Krazuki, qui n’est à ce moment qu’un simple permanent de la CGT, accentue sa curiosité. Krazu dirigeait un réseau de résistance juif affilié au parti communiste pendant la guerre. Arrêté, torturé, déporté à Auschwitz, il lui présente une version contrastée de cette terrible période. Les héros ayant aussi eu des faiblesses devant l’ennemi sans qu’il faille nécessairement les condamner. Auteur de polar, Daenincks nous propose ici un roman qui se dévore. Totalement passionnant.