On exagère souvent le charme de la vie rurale. Le calme, l’apaisement, la nature, la vie au rythme des saisons avec les couleurs qui changent et le plaisir de côtoyer les animaux. Ici sur le plateau de Millevaches, de mille sources si vous ne parlez pas le limousin, on ne rigole pas tous les jours. La vie y est dure. « Nous sommes d’éternels résistants » dit un des personnages du roman. Car dans ces hameaux de Haute-Corrèze, il faut lutter contre le froid, le délabrement des fermes, l’âge, la solitude, l’éloignement puisque les commerces ont fermé depuis belle lurette. Seul le boulanger passe encore régulièrement. Et on ne vous dit rien des haines recuites, des héritages mal distribués, des vengeances toujours en attente. Ce n’est pas qu’il n’y ait pas aussi de belles choses ni que l’amour y ait disparu. Judith et Virgile formaient un beau couple quand ils se sont connus. Une seule sortie au bal avait suffi pour qu’ils décident de faire leur vie ensemble. Judith était pourtant si jeune. Mais ils ont vieilli. Judith n’est plus lucide que pendant de rares moments. Virgile espère toujours mais sans vraiment y croire. Lui aussi a pris de l’âge et il craint de perdre la vue. Cela ne l’empêche pas de faire tourner sa modeste exploitation agricole. Leur neveu Georges vit à proximité. Dans une caravane car il n’a jamais osé utiliser la ferme de ses parents morts il y a bien longtemps dans un accident de voiture. Georges n’aime pas le Plateau comme il n’aime pas la vie à la ferme. Il aurait préféré devenir instituteur, lui qui a tapissé sa caravane de livres. Mais ici les fils aînés ne choisissent pas leur destin. Ils reprennent la ferme plutôt que de la vendre à d’éventuels acheteurs qui ne seraient que des pièces rapportées. De toute façon, qui voudrait vivre ici ? Un jour, Cory la jeune nièce de Judith se pointe au village. Elle vivait dans le Nord mais a fui son mari qui la battait. Celui qu’elle appelait l’homme-terreur. Pas question de l’accueillir chez sa tante qui ne la reconnaît plus. Judith aboutit dans la caravane de Georges, de façon provisoire a promis Virgile. Vivre à deux dans quelques mètres carrés même bien rangés. Vivre à proximité d’une jeune et jolie femme quand la frustration sexuelle est votre quotidien depuis si longtemps. Vaste programme. « Addictif » nous annonce le bandeau placé par l’éditeur sur le roman. Il n’a pas tort tant Franck Bouysse nous fait partager la vie de ses personnages. Et libre à nous de retenir l’amour qu’ils se vouent plutôt que les haines. La beauté des paysages plutôt que la rudesse du climat. Jim Thomson a peut-être trouvé son cousin français.
