Germinal, David, Joana et Mireia avaient tout pour vivre une existence heureuse d’adolescents dans la Barcelone des années 20. Plus exactement à Barceloneta, ce quartier ouvrier qui regarde vers la mer. Certains habitants étaient pêcheurs, d’autres chargeaient et déchargeaient des bateaux puants. On se livrait à la contrebande ou on s’embarquait sur un navire qui s’en allait vers d’autres contrées. L’existence de Germinal, le narrateur du roman, est d’autant plus tracée, qu’il naît au 6 rue de la Mer d’un père marin. Un marin qui tomba amoureux à Sète de Marie et « de son corps ferme et parfaitement dessiné ». Comme cet amour était partagé, Josep emmena Marie à Sète où il dut se trouver un autre travail, car sa femme ne pouvait concevoir d’attendre son homme encore et encore. Josep se fit docker et mieux encore docker actif au sein du mouvement syndical anarchiste. Germinal pouvait donc arriver avec un prénom courant chez tous ceux qui combattaient les patrons et rejetaient l’Église. Joana, Mireia et David, que Germinal n’allait cesser de côtoyer, étaient du même monde. Joana était la fille d’un docker venu de Murcie pour fuir la pauvreté et d’une couturière. L’origine de Mireia était plus exotique, sa mère issue de la riche bourgeoisie ayant choisi de vivre avec un contrebandier dont l’entreprise prospérait grâce aux femmes. Et David ? Son père était un modeste pêcheur sur la Sarita, une felouque qui allait devenir le point de ralliement de la bande des quatre, tandis que sa mère avait les mains les plus habiles du quartier pour coudre et raccommoder. Mais pour vivre et grandir tranquillement à la Barceloneta, encore eût-il fallu que le choix des urnes fût respecté en 1936 par l’armée et la droite espagnole. La guerre civile allait tout emporter en commençant par ceux qui avaient choisi de résister. La question de la lutte ne se posait pas chez les syndicalistes de la CNT qui partirent se battre contre les forces de Franco. Germinal et David étaient trop jeunes pour les suivre, ils eurent donc un peu de temps pour s’avouer leur amour réciproque. Une relation déjà peu facile à vivre dans la Catalogne républicaine et qui ne pouvait que les entraîner vers le pire après la chute de Barcelone. C’est cette relation de deux jeunes hommes que nous raconte en priorité Luís Llach. Deux jeunes hommes qui passent allègrement d’une femme à une autre pour assouvir leur sexualité, mais qui finissent par trouver leur plénitude en se tournant l’un vers l’autre. Difficile de s’aimer quand les atrocités de la guerre se multiplient, les anarchistes étant victimes des fascistes, des avions de Mussolini mais aussi des staliniens. Ce sont ces évènements que nous fait vivre Les yeux fardés, avec d’autant plus d’émotion que Luís Llach nous raconte un peu sa propre existence.
