La coquette c’est Xiaoqiu, fille de Xiao Mingming, née 18 mois après le divorce de sa mère, qui avait eu deux enfants avec son mari avant qu’il n’écope de dix années de prison. Naître sans père était loin d’être un avantage dans la Chine des années 50. Mais Xiaoqiu était riche d’une flamme intérieure, et d’un regard à nul autre pareil, qui faisait dire à ceux qui la croisaient qu’elle avait des yeux de chat. Autant d’atouts qui lui permirent de surmonter les difficultés qu’elle rencontrait dans cette Chine accrochée à ses conventions. Ne pas avoir de père était déjà un lourd handicap, même s’il aurait mieux valu en faire le reproche à sa mère, artiste de théâtre qui avait grandi à Shanghai avant la guerre avec le Japon. Avoir une mère comme Xiao Mingming constituait une autre difficulté, car Xiao Mingming n’aima jamais Xiaoqiu. Pas même quand sa fille intégra très jeune son théâtre. Xiao Mingming battait sa fille et trouvait normal que son fils le fasse aussi. Attirer le regard des hommes n’était pas non plus une bonne idée dans cette Chine traditionnelle, au risque de se traîner une sale réputation. Et comme si cela ne suffisait pas, naître en 1950, signifia une quinzaine d’années plus tard devoir en passer par les affres de la Révolution culturelle.
Le livre nous en apprend beaucoup sur la société chinoise
Xiaoqiu migra donc de force à la campagne. Non pas pour profiter du bon air, mais pour intégrer une équipe de production. Son activité agricole ne la dispensa pas pour autant de connaître les tourments de la faim. Pas assez de gras dans l’alimentation, selon les compagnons qui avaient été eux aussi envoyés aux champs. Le roman d’Anyi Wang n’en est pas pour autant une litanie d’horreurs. Car Xiaoqiu surmonte à sa façon toutes ces difficultés. L’absence d’amour de sa mère comme ses coups ne lui sabrent pas le moral. La Révolution culturelle qu’elle traverse est exempte de morts, ce qui est loin d’avoir été le cas dans l’ensemble de la Chine. Même la guerre sinon-japonaise ne bouleverse la vie de Xiao Mingming qui la fuit en se réfugiant à Hong Kong. La capacité d’adaptation de Xiaoqiu nous donne le moral, et surtout le livre nous en apprend beaucoup sur la société chinoise. Sur sa capacité à prolonger ses valeurs traditionnelles en dépit du régime communiste. Sur l’impossibilité des jeunes Chinois à vivre leur sexualité. Sur la constance des hiérarchies sociales qui se perpétuent malgré l’idéologie officielle. Et même sur la cuisine locale.