Pour la première fois Faydé défie sa mère Kondem. L’adolescente veut quitter son village du Nord-Cameroun pour travailler comme domestique à Maroua la capitale régionale. Faydé ne se voit pas d’avenir comme paysanne sur une terre en manque d’eau, avec un changement climatique qui ne pourra que compliquer sa vie. Elle veut aussi tout ce que ses amies rapportent de Maroua. Pagnes, bijoux, chaussures, savon, allumettes ainsi que le poisson séché. Les jeunes filles de son âge sont d’ailleurs presque toutes parties à la ville. Le départ de Faydé est une catastrophe pour sa mère. Il implique l’abandon des études de sa fille, la fin de son rêve de devenir médecin. Faydé y voit au contraire la possibilité de donner un peu d’argent à sa famille qui n’en tire plus des champs desséchés. Imaginer sa fille domestique rappelle surtout à Kondem le viol qu’elle a subi à Maroua quand elle y travaillait. Mais Faydé serait-elle en sécurité au village maintenant que les djihadistes de Boko Haram déboulent pour piller, violer, enlever, brûler au nom d’Allah ? Le mari de Kondem a d’ailleurs disparu lors de leur dernière incursion. C’est finalement Adaw le sorcier du village qui la rassure en lui annonçant qu’il n’arrivera rien à sa fille. Alors Kondem accepte le départ de Faydé vers la ville musulmane bien qu’elle soit chrétienne. L’adolescente se retrouve dans une « concession », la maison d’un homme et de ses épouses. Diddi est la première, celle qui dirige. La seconde s’appelle Nenné et la troisième Ayya. Faydé leur doit une obéissance absolue pour les travaux ménagers, le ménage, le linge, la cuisine, et la vaisselle qui lui fait si peur parce qu’elle n’a jamais manipulé d’assiettes , de verres ni de plats. Dans la concession il y a aussi Biri le chauffeur qui l’a à la bonne, et qui lui explique comment faire pour ne pas perdre sa place. Ce serait dommage, il y a tout dans cette maison, de l’eau pour se doucher, des toilettes à l’extérieur, tellement de nourriture au point qu’on en jette, et même la télévision. Le soir Faydé regagne la case qu’elle partage avec d’autres employées.
L’ensemble de ces combats ont fait de Djaïli Amadou Amal la défenseuse des opprimés au Cameroun
Ce roman est en quelque sorte la suite des Impatientes qui avait raté de peu le Goncourt 2020 tout en obtenant celui des lycéens. Cœur de Sahel aborde le même sujet, la vie de la femme camerounaise face à l’omnipotence des hommes. On la marie de force y compris avec son violeur, on lui impose d’arriver vierge à ses noces ce qui n’est pas envisageable pour un homme. Elle doit accepter la polygamie de son époux, ainsi que de le servir selon son bon vouloir. S’y ajoute dans le nord du Cameroun où est née Djaïli Amadou Amal le racisme développé par les couches aisées de la population à l’égard des plus pauvres. Ainsi que la vision ethnique des Peuls musulmans qui considèrent les chrétiens comme une race inférieure. L’ensemble de ces combats ont fait de Djaïli Amadou Amal la défenseuse des opprimés au Cameroun, elle qui est née dans une famille peule musulmane à Maroua. Cette militante féministe, mariée de force à dix-sept ans et qui quitta son second mari violent, ne manque pas de combats. Elle dénonce aujourd’hui les conséquences du réchauffement climatiques qui stérilise les terres en bordure du Sahel ainsi que les méfaits de Boko Haram. Car cette secte djihadiste a depuis longtemps étendu son action au-delà du Nigeria pour s’en prendre aux pays limitrophes, le Cameroun, le Tchad, le Niger et le Mali. Ses crimes sont d’autant plus cruels qu’ils interviennent dans des territoires sans État, où la corruption est monnaie courante. La force de l’autrice est de nous faire passer tout cela en nous présentant la vie de jeunes filles toujours dynamiques malgré leurs conditions d’existence. Faydé et ses copines continuent d’espérer en des jours meilleurs, font preuve d’inventivité pour améliorer leur sort, sans négliger de s’amuser quand l’occasion s’en présente le soir. Mais même si certains hommes ressortent du lot, être une jeune femme demeure dans cette société un lourd handicap. La plupart vont payer pour le savoir.
Qu’en dit Bibliosurf ?
https://www.bibliosurf.com/Coeur-du-Sahel.html
Djaïli Amadou Amal au festival du livre de Paris
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C’est la suite, mais aussi, s’il y a des combats climatiques, l’autrice renouvelle ses thèmes, non ? En tout cas, son livre est bien dans mes intentions de lecture, merci Laurent !