Si Obélix revenait nous voir, serait-il heureux de n’avoir qu’à se pencher pour attraper ses animaux favoris ? Faute de pouvoir lui poser directement la question, et comme Gérard Depardieu n’est pas non plus disponible, supputons. Ce qui est certain c’est qu’il ne manquerait pas de nourriture. Il y a deux siècles quasi invisibles, relativement rares dans de nombreux territoires il y a cinquante ans, les sangliers sont désormais présents presque partout. Dans les forêts, les campagnes, et de plus en plus en lisière des villes. Combien sont-ils ? Nul ne le sait faute de comptages. Mais les tableaux de chasse attestent du développement des cheptels : 30 000 sangliers abattus en 1970, 800 000 en 2020. Les accidents avec les voitures ont également augmenté, même si le développement du trafic automobile a joué son rôle. Alors comment en sommes-nous arrivés là ? C’est ce que nous expliquent Raphaël Mathevet écologue et géographe, et Roméo Bondon étudiant en géographie et historien, dans Sangliers. Un ouvrage passionnant qui montre combien le statut de ces animaux est complexe. Il est omnivore, prédateur, fauve à l’image des carnassiers, un grand acteur des plaines et des forêts. Alors les sangliers des bêtes à problèmes qu’il faut tuer ? Des éléments nécessaires à la biodiversité qu’il convient juste de réguler ?
Les agriculteurs leur facilitent la tâche avec les cultures de maïs
Années quatre-vingt, l’intensification agricole bat son plein. Les haies sont rasées, lapins, lièvres, faisans et perdrix s’empoisonnent dans les champs. Les chasseurs disparaissent à l’image des petits gibiers. Avec leurs institutions ils cherchent à enrayer ce processus et choisissent de développer les populations de sangliers en pratiquant une chasse qui épargne reproducteurs et reproductrices. Ces animaux vont dès lors pulluler, sortir de leurs milieux, multiplier les dégâts sur les cultures. Et les agriculteurs leur facilitent la tâche avec le maïs. Une aubaine pour les sangliers qui apprécient particulièrement cette céréale quand elle est en lait, c’est-à-dire quand le grain se forme. À la décharge des agriculteurs, on leur a retiré à la fin des années soixante le droit d’affût. Ils n’ont plus le droit de tirer les animaux sur le point d’endommager les cultures, et ils reçoivent en compensation des indemnités financées par les chasseurs. Elles ne sont pas toujours suffisantes, notamment pour les petits dégâts ainsi que pour les cultures bio qui sont mal prises en compte. C’est à partir de ce moment que le sanglier change de statut, qu’il devient une espèce cynégétique entièrement gérée par les chasseurs. Or analyser l’action des animaux à ce seul prisme est réducteur. Les sangliers ont des actions positives. En bougeant les terrains ils favorisent l’implantation des graines, en créant des souilles pour se vautrer ils gardent l’eau ce qui est bon pour les tritons. Mais outre les dégâts déjà signalés, ils agissent aussi en prédateurs, mangeant des oiseaux et des mammifères. Et leurs actions sur les sols agricoles ne se limitent pas aux cultures, car ils retournent facilement les prairies nuisant ainsi aux éleveurs.
Si vous portez la barbe faites attention, il se pourrait que d’aucuns vous prennent pour un cochon sauvage
On déplore leur prolifération et pourtant on les nourrit. L’agrainage est une pratique aussi répandue géographiquement que régulière dans la saison. Elle vise officiellement à fixer les animaux en les éloignant des cultures. Elle permet surtout de conserver un effectif stable à chasser. Le sanglier n’est ainsi pas encore un animal domestique et plus tout à fait un animal sauvage. Il est en fait géré pour le seul besoin des chasseurs, qui même s’ils sont aujourd’hui choyés par le pouvoir ne sont pas à même de le faire. D’abord parce que leur nombre varie en sens inverse des populations de sangliers. Ils étaient deux millions en 1980, plutôt jeunes, issus de diverses couches de la société. Ils sont désormais un peu plus d’un million, plus vieux que le reste de la population, pour beaucoup des retraités. L’acceptabilité de la chasse a également reculé. Les conflits entre ceux qui fréquentent les forêts et les chasseurs sont légion suite aux nombreux accidents. Si vous portez la barbe faites attention, il se pourrait que d’aucuns vous prennent pour un cochon sauvage. Autre élément qui explique la difficulté à maîtriser les dégâts des sangliers : on les a parfois croisés avec des porcs domestiques ce qui les a fait grossir et les a rendus plus prolifiques. De toute façon les sangliers s’adaptent. Si besoin ils changent de territoire, et les femelles anticipent les gestations pour préserver l’espèce.
On tire le sanglier pour de multiples raisons
Comme si ça ne suffisait pas, des craintes apparaissent pour la peste porcine africaine. Ce virus endémique en Afrique s’est propagé au Caucase, à l’Ukraine puis à l’Europe de l’Est. Non transmissible à l’homme il peut décimer les élevages de porcs. Il est très résistant et se maintient aussi bien dans les sols que dans les viandes. Même si les sangliers présents partout sur le continent sont moins responsables de sa propagation que l’industrie agroalimentaire, ils sont les plus menacés. Plusieurs méthodes ont été utilisées en Europe pour contrer la zoonose. Au Danemark, seul pays à compter davantage de porcs que d’habitants, on a fait les choses en grand avec l’érection d’un gigantesque mur pour stopper les sangliers allemands. En Allemagne et en Pologne on a posé des clôtures. En Belgique et en Moselle on a isolé des territoires et euthanasié les sangliers. Avant de constater qu’une faible partie des animaux abattus étaient contaminés. Ce mode d’éradication est certes efficace mais on ne peut le généraliser. Essentiellement parce qu’il est incompatible avec les pratiques de chasse. On tire le sanglier pour de multiples raisons : récupérer la viande, agir au sein d’une communauté, mais rarement pour la joie d’un massacre. Alors comment faire ? Raphaël Mathevet et Roméo Bondon n’ont pas de solutions magiques à proposer. Ils présentent toutefois des expériences menées en posant des GPS sur des animaux capturés afin de mieux cerner leurs comportements. Car les animaux n’agissent pas à l’unisson. Certains sont craintifs, d’autres vont plus facilement au contact de l’homme. Ensuite des adaptations locales des plans de chasse semblent avoir donné des résultats encourageants. Mais sûrement pas assez pour contraindre Obélix à devenir végan.
Abonnez-vous pour être averti des nouvelles chroniques !