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Le blog de Laurent Bisault

Staline a bu la mer, Fabien Vinçon, Éditions Anne Carrière

Fév 26, 2023 #Anne Carrière

On n’en a jamais fini avec les crimes du petit père des peuples. Après les meurtres par millions place à un crime d’un nouveau type, un crime contre la nature. C’est ce que nous raconte Fabien Vinçon dans son second roman Staline a bu la mer, une fable consacrée à la disparition de la mer d’Aral. Vinçon met en scène le dictateur géorgien qui ordonne de vider ce grand lac salé d’Asie centrale, vaste de 68 000 kilomètres carrés soit deux fois la superficie de la Belgique. En réalité la disparition de la mer est postérieure à la mort de Staline car elle résulte de l’intensification de la culture du coton décidée par Khrouchtchev. Elle n’a donc jamais été explicitement exigée par le roi du Kremlin. Mais la fin de cette mer intérieure s’inscrit parfaitement dans le grand plan de transformation de la nature de Staline, qui du nord au sud de l’Urss voulait doper la production agricole en faisant fi des coûts humains ou financiers. Et cela Staline savait le faire, lui qui avait fait creuser le Canal de la mer blanche par les prisonniers du Goulag dont 25 000, voire même 250 000 selon Soljenitsyne, en étaient morts. Le roman mêle l’histoire et la fiction pour mieux nous faire vivre ce désastre écologique ainsi que la terreur du régime stalinien.

Le Staline de Vinçon est criant de vérité

Vinçon nous fait découvrir l’anéantissement des peuples et des cultures d’Asie centrale qui avaient jusque-là résisté à bien des envahisseurs. Il montre l’échec de Soviétiques dont les méfaits ont été loin d’être compensés par l’émancipation des femmes apportée en Ouzbékistan. Car pour s’imposer le régime communiste avait sédentarisé les habitants au prix d’une famine payée par des milliers de morts. Il a aussi fait disparaître d’innombrables espèces animales et végétales en industrialisant la pêche dans la mer d’Aral. Avec des tonnes de poissons arrachés à d’autres milieux, carpes de Chine, harengs de la Baltique, aloses de la Caspienne dont la confrontation biologique avait donné naissance à d’ignobles bâtards. Des avortons à trois yeux et six nageoires, des créatures sans queue ni branchies qui s’étaient développées aux dépens d’espèces plus fragiles. Le Staline de Vinçon est criant de vérité du début à la fin du livre. Cruel, pervers, terrifiant, paranoïaque, dément. Il est entouré de serviteurs prêts à tout pour rester en vie, mais également parce qu’ils ont compris que dans ce régime la lâcheté est le meilleur passeport pour faire carrière. Le tableau de Vinçon est heureusement complété par des personnages plus humains. Elmira la métisse aux yeux verts qui cause scandale en revendiquant son émancipation, roulant à vélo et tombant amoureuse d’un Russe. Et un chaman prêt à tout pour sauvegarder ses croyances héritées des zoroastriens, et à se battre à cheval tel Don Quichotte contre l’armada militaire soviétique. Une bien belle réussite.

Il décide de punir la mer d’Aral en la privant des fleuves Amou-Diara et Syr-Diara qui l’alimentent

Octobre 1949 le dictateur est cloué au lit plusieurs jours et perd l’usage de la parole. Plutôt que de lui conseiller d’adapter son mode de vie à son âge médecins et scientifiques accusent un vent iodé qui serait responsable de l’attaque de leur vénéré malade. Le zéphyr viendrait de l’archipel de la Résurrection au milieu de la mer d’Aral, et les locaux l’appelleraient « le baiser de la steppe ». Dépêchés sur place les savants installent de hautes turbines à même d’empêcher le vent de se diriger vers Moscou. Un an plus tard un jeune médecin reçoit l’autorisation d’ouvrir dans l’archipel un sanatorium réservé aux héros de la patrie. L’exposition aux vents saturés d’embruns tonifiants devrait revigorer les vieillards. Mais rien ne fonctionne et les vieillards cacochymes passent leur temps sur des chaises longues à se saouler au frais de la mère patrie. Puis apparaît la Sainte Vierge dans le sanatorium ce qui déclenche la colère de Staline. Il décide de punir la mer d’Aral en la privant des fleuves Amou-Diara et Syr-Diara qui l’alimentent. L’eau ainsi détournée fera tourner trois usines hydroélectriques géantes et décuplera la production de coton. Le plan de transformation de la nature cher au Géorgien a été enrichi d’une nouvelle opération dénommée « La Grande Soif ». C’est un jeune ingénieur Léonid Borisov qui a la charge de punir les fleuves insolents qui ont offensé le camarade Staline. Il s’y emploie à grands coups d’explosifs, de tonnes de béton mues par une armée de travailleurs venus de tout l’empire.

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