Surbooké

Le blog de Laurent Bisault

La syndicaliste, Caroline Michel-Aguirre, Éditions Stock

Fév 28, 2023 #Stock

C’est un magnifique thriller. Une exceptionnelle analyse des turpitudes de la filière nucléaire française. Un travail qui honore la presse, qui fait avancer la démocratie. Un bouquin que vous n’oublierez pas. Elle s’appelle Maureen Kearney et elle est Irlandaise. Au début des années 2000 en tant que secrétaire du comité de groupe européen, elle est devenue la plus haute représentante des 75 000 salariés d’Areva. Un fleuron de la filière française du nucléaire. Une des réussites issues de la volonté gaulliste de porter le pays au sein du Conseil de sécurité des Nations unies grâce à la bombe. Maureen Kearney est appréciée et écoutée d’Anne Lauvergeon qui dirige Areva depuis 2001. « La reine Anne » qui deviendra aussi « Atomic Anne » a de grandes ambitions pour son groupe. Elle veut en faire le leader français de la filière devant EDF. En 2011 le débat est tranché par Nicolas Sarkozy qui donne raison à Henri Proglio qu’il a placé à la tête de l’électricien français deux ans plus tôt. Anne Lauvergeon est remplacée chez Areva par Luc Oursel. Maureen Kearney et son entourage ne lui font pas confiance. Elle outrepasse son rôle en tentant de poursuivre le combat de Lauvergeon contre EDF. Elle reçoit alors des messages anonymes, puis elle est agressée chez elle en décembre 2012. Et c’est elle qui est jugée en 2017, accusée d’avoir inventé cette histoire. D’avoir imaginé un viol en tant que marionnette de son ancienne patronne, pour s’opposer au démantèlement d’Areva. L’éclatement du groupe a pourtant eu lieu avec la création d’Orano qui gérera le combustible, et le transfert de la fabrication de réacteurs à EDF. À la clef des milliers d’emplois détruits. Devant le tribunal la syndicaliste est bien seule, juste entourée de proches souvent issus de son organisation la CFDT. On ne verra pas Lauvergeon alors que les deux femmes se sont longtemps fréquentées et appréciées. Proglio au cœur de l’affaire ne viendra pas. L’ancien ami politique de Maureen, Bernard Cazeneuve, trop soucieux de préserver l’intérêt national, non plus. Contacté par Caroline Michel-Aguirre, Arnaud Montebourg est le seul à avoir réagi en envoyant un message de soutien qui sera lu au procès.

Areva soupçonne EDF de négocier en secret un transfert de sa technologie

Syndicaliste c’est un héritage familial pour Maureen. L’Irlandaise est née dans une famille qui a toujours milité, pour l’IRA ou Mandela. Maureen est entrée chez Areva en donnant des cours d’anglais à des ingénieurs. Quand il a été question de les licencier sans indemnités, elle les a défendus et elle s’est syndiquée à la CFDT. En 2011 elle adhère au PS suite à de nombreux contacts avec ses dirigeants qui lui parlent nucléaire en plaidant pour leur circonscription. Ce sont Cazeneuve, Montebourg, Nicole Bricq et même en 2011 au Creusot un jeune conseiller nommé Emmanuel Macron. L’avenir d’Areva est alors incertain car le groupe soupçonne EDF de négocier en secret un transfert de sa technologie avec l’entreprise chinoise CGNPC. Avec à terme la possibilité pour l’électricien français d’implanter des EPR en Chine. Pourtant EDF n’en a pas le droit, car ce savoir appartient à Areva qui l’a développé avec les Japonais de Mitsubishi. Et Areva pourrait désormais se retrouver en concurrence avec le nouveau partenaire d’EDF. Cet invraisemblable imbroglio industriel est le fruit de ce que le parti socialiste a mis en place en 2001 : une structure traitant à la fois la construction des centrales et du combustible. Mais Areva ainsi créée sur les bases de Framatome et de la Cogema ne disposera jamais des connaissances d’EDF pour assembler et gérer les centrales. La filière nucléaire, qui est en plus tenaillée par des haines personnelles, ne s’en remettra pas.

C’est une femme brisée qui est jugée pour dénonciation mensongère

En 2012 Maureen Kearney alerte les parlementaires de tractations secrètes entre EDF et les Chinois. Caroline Michel-Aguirre en obtient confirmation et l’écrit dans Le Nouvel Obs ce qui lui vaut la colère et probablement une surveillance de la part de Proglio. Le combat de la syndicaliste se poursuit en interne contre Luc Oursel qui a succédé à Anne Lauvergeon, car tout laisse croire que son nouveau PDG appuie les accords d’EDF avec la Chine. Oursel est effroyablement violent avec Maureen qui en vient à consulter un psychiatre. Fin 2012 quand Maria la femme qui s’occupe du ménage de Maureen pénètre dans la maison de sa patronne, elle est sidérée. Elle l’aperçoit assise, mains et pieds entravés, collants baissés, la tête qui pendouille. Elle a un manche de couteau dans le vagin et un « A » taillé sur le ventre. Maureen ne remettra plus les pieds dans son entreprise. Averti Arnaud Montebourg est le seul à la soutenir bien qu’il appuie la stratégie industrielle d’EDF. L’enquête est confiée à un service spécialisé de la gendarmerie qui conclut que rien de ce qu’a raconté Maureen Kearney n’est vrai, qu’elle a tout inventé. Elle était victime, elle devient accusée. Interrogée, menacée, poussée à bout, Maureen finit par avouer. C’est une femme brisée qui est jugée pour dénonciation mensongère en mai 2017 à Versailles. Son agression a fait remonter beaucoup de souvenirs dont le viol dont elle a été victime à vingt ans. Cela fait donc désormais deux pour elle. Pendant le procès Maureen revient sur ses aveux. Elle est condamnée a cinq mois de prison et 5 000 euros d’amende. C’est en retrouvant la femme d’un cadre de Veolia, qui avait subi la même agression, que Caroline Michel-Aguirre relance l’enquête. Mêmes menaces, mêmes manières d’opérer, et même proximité d’Alexandre Djouhri un proche de Proglio. Huit mois après son premier procès l’ancienne syndicaliste revient au tribunal pour un jugement en appel. La CFDT et Laurent Berger la soutiennent et lui payent ses frais d’avocat. Son nouveau défenseur démontre avec les faits combien l’enquête a été bâclée. Maureen Kearney est acquittée.

« Il vient de fêter ses quarante-neuf ans. Il en paraît dix de plus. » 

J’ai rarement été autant secoué qu’à la lecture de ce livre. Caroline Michel-Aguirre, qui avait déjà coécrit Les infiltrés sur les sociétés de conseil avec Matthieu Aron, nous propose plusieurs lectures de son livre. Une histoire individuelle, une analyse économique, et de beaux portraits du marigot politique. La syndicaliste c’est d’abord un portrait d’une femme magnifié par une écriture remarquable. C’est en même temps un hommage à l’activité syndicale dont le sociologue Jean-Marie Penot a un jour expliqué combien elle apportait des emmerdements à ceux qui la pratiquent. Dans cette histoire Maureen est servie car ce que ne peuvent admettre ses dirigeants est qu’elle se mêle des orientations d’Areva. La syndicaliste c’est aussi un livre économique qui me conforte dans l’idée que les journalistes en sont souvent les meilleurs auteurs. On a pour une fois une présentation crédible de la filière nucléaire française dont l’histoire est remplie de coups bas, d’absence de transparence, dont la gouvernance a souvent échappé à l’État. Il est heureux de rappeler à tous ceux qui pleurent sur la fierté nationale perdue avec les difficultés actuelles du nucléaire français, que les technologies utilisées chez nous ont en grande partie été importées. Des Étas-Unis au début, du Japon ensuite. Mon seul reproche concerne le portrait d’Anne Lauvergeon qui s’en sort vraiment bien. Elle a sûrement pâti de son statut de femme, mais quel bilan désastreux. « Son » EPR finlandais ne fonctionne toujours pas vingt années après la signature du contrat, et les pénalités financières liées au retard se chiffrent en milliards d’euros. Atomic Anne est aussi accusée d’avoir acheté des mines qui se sont révélées vides. Si la justice fonctionnait en France, elle aurait dû être jugée pour l’ensemble de son œuvre. Que les âmes sensibles se rassurent, ce n’est pas cela qui l’a empêché de continuer à s’enrichir dans les affaires. La syndicaliste c’est enfin de jolis portraits du marigot politique où le courage semble être une denrée rare. La palme revient sans doute à celui que Caroline Michel-Aguirre rhabille pour l’hiver. « Un mètre soixante-sept, « sans talonnettes ! », lance-t-il parfois par provocation. Bernard Cazeneuve soigne son apparence. Il porte un tel soin à sa mise que son dressing est plus spacieux que celui de sa femme. Des cravates Hermès, des chemises taillées sur mesure et brodées à ses initiales, des chapeaux à large bord pour étirer la silhouette et des chaussettes colorées – seule entorse au chic anglais qu’il vénère. Il vient de fêter ses quarante-neuf ans. Il en paraît dix de plus. ». À gauche Arnaud Montebourg s’en sort mieux. Il est le seul à défendre Maureen Kearney. Que l’on soit d’accord ou non avec lui, Montebourg a toujours été courageux. En ferraillant avec Vincent Peillon contre les tribunaux de commerce, et plus encore en s’opposant à la dérive mafieuse de son parti quand Jean-Noël Guérini était le faiseur de roi des congrès du PS. À droite c’est encore pire, entre Sarkosy, Guéant et Pasqua c’est barbouzeries et compagnie.

La bande annonce du film de Jean-Paul Salomé

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