En jaune, forcément. Quelle autre couleur voulez-vous choisir pour le maillot quand vous décidez de traverser la France à vélo ? Et pas n’importe comment, de Dunkerque à Hendaye en suivant la diagonale du vide. Cette partie du territoire à faible densité de population. Cette France en déclin démographique, oubliée, qui s’étend des Ardennes, à la Haute-Marne, dans la Nièvre, l’Allier, en Creuse, jusqu’à l’Atlantique. Son fidèle compagnon s’appelle Raymond en l’honneur de Raymond Losserand, parce que Stéphane habite à une rue de celle du XIVe arrondissement de Paris qui porte ce nom. Celui d’un résistant communiste fusillé par les Nazis. Raymond pèse douze kilos à vide, trente chargé, et ils vont parcourir 1 200 kilomètres en trente-cinq étapes sur quarante jours. Malheureusement pour Stéphane Dugast le maillot jaune ne fait pas tout. Il sort du confinement avec un réel embonpoint, pas véritablement affuté. Certains le lui font remarquer, mais pas de quoi le décourager. Pourtant Stéphane s’est trompé. Il s’en rend vite compte dès l’arrivée des premières côtes en s’approchant des monts des Flandres. Il a trop pris de matériel dans ses sacoches fixées sur le porte-bagages ou le cadre. Impossible de se mettre en danseuse, obligé de marcher pour vaincre la déclivité. Même les descentes sont périlleuses. Alors quand en plus il décide d’emprunter les chemins de la forêt de Phalempin, entre Lille et Lens, les difficultés se corsent. Mais ça valait le coup pour profiter de la biodiversité du lieu qui fut entièrement replanté après la Première guerre mondiale. Stéphane et Raymond pratiquent le camping sauvage, qui est autorisé partout sauf là où il est interdit, et se contentent alors de plats lyophilisés. Ils fréquentent aussi les campings officiels, les chambres d’hôtes et les hôtels bon marché, histoire de profiter des sanitaires. À Mons-en-Pévèle où passe la course Paris-Roubaix, Stéphane comprend qu’en tant que cyclorandonneur il ne partage pas grand-chose avec les cyclistes qui s’enorgueillissent de leur vélo tout carbone. Mais les gens du Nord sont de bons vivants. La bière coule à flots même pour les cyclistes affutés et on invite Stéphane à manger. À Charleville-Mézières il savoure les carolos, un compromis entre le macaron et la meringue garni de crème d’amandes. Stéphane prend son temps. Il admire les points de vue, se fait détailler ce qu’il ne doit pas manquer dans les offices de tourisme. Il se recueille devant l’ossuaire de Douaumont. Notre cyclorandonneur rencontre un gros céréalier suréquipé, qui se plaint de la rentabilité de son exploitation, alors que la récolte de blé a dépassé les 100 quintaux à l’hectare. Il croise une agricultrice qui a su faire son trou malgré la misogynie de la profession, tout en choisissant de travailler en bio.
Autant dire que le plat reste à inventer dans le Limousin
Dans presque tous les villages l’activité se fait rare, des services de proximité, des petits commerces. Les usines ont fermé. La moindre démarche administrative nécessite une voiture pour se rendre au chef-lieu du département. Allez-vous étonner que les jeunes soient partis. Heureusement pour le cycliste en quête de dépaysement il y a les paysages. Les voies vertes qui traversent l’Europe lui sont d’un grand secours. Construites le long des canaux, sur des chemins forestiers ou d’anciennes voies ferrées, elles évitent les camions et les voitures. Stéphane a le béguin pour le Limousin, surtout pour la Creuse. De Marcillat-en-Combraille à Aubusson et au lac de Vassivière il se régale. Il voit dans cette ruralité beaucoup d’atouts pour ceux qui se désespèrent de la ville. Sous un cagnard de 40 degrés Stéphane apprécie de se rafraîchir dans l’eau, du moins quand la baignade est autorisée. D’autant que comme lui explique un local, ici c’est le domaine de la bosse. Autant dire que le plat reste à inventer dans le Limousin. En descendant vers le Pays basque Stéphane est mal accueilli au camping municipal de Marmande où on l’avertit qu’il y a des Manouches dans le coin. Il aurait dû s’informer des précédentes élections dans ce coin du Lot-et-Garonne. Quand le Rassemblement national l’emporte ça n’annonce jamais rien de bon. Direction Hendaye pour terminer le périple. Une fois dans les Landes, en longeant l’Adour, seules les entrées et sorties d’agglomération déplaisent à notre cycliste. Encore quelques rencontres avec ceux qui le remettent dans la bonne direction. Il pourra bientôt verser dans l’Atlantique l’eau qu’il avait prélevée dans la mer du Nord.
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Bonjour et merci pour ta chronique.
A la retraite on a le temps de lire….
Ravi que ça te plaise