Pour approcher Dafna, l’agent des services secrets israéliens lui expliqua qu’il voulait écrire un livre. Il y parlerait d’un marchand juif parti après la destruction du Temple chercher sur une île grecque des cédrats pour les rapporter en Eretz-Israël. Parce qu’elle était romancière elle pourrait l’aider. Dafna avait bien vendu son premier livre, beaucoup moins le second, elle avait besoin d’argent. Son chef l’avait prévenu que sa couverture était médiocre, hélas il n’en avait pas trouvé d’autres. Il n’avait de toute façon que peu de temps à consacrer à cette approche, il était débordé par les interrogatoires qu’il menait en cette période d’attentats. Parce que son boulot consistait à arrêter des mecs qui se baladaient en ville avec une ceinture explosive pleine de clous et de billes métalliques. Mais après un interrogatoire qui s’était mal fini on le renvoya s’occuper de Dafna. Il devait utiliser les liens de la romancière avec le poète palestinien Hani. L’homme résidait à Gaza, il souffrait d’un cancer, ne disposait même pas d’antalgiques, et la quarantenaire tentait en vain de le faire soigner en Israël. Lui pouvait le faire hospitaliser à Tel-Aviv et il serait alors possible de l’utiliser. Primo Levi l’avait écrit à maintes reprises : « Les traîtres et les balances vivent plus longtemps par temps troubles, c’est bien connu ».
Et puis tout est parti en vrille
Si vous souhaitez comprendre, ne serait-ce qu’un petit peu, comment les Israéliens tentent de se protéger des attentats ne manquez pas ce roman. Sa lecture sera de toute façon moins pénible que de regarder les chaînes d’information en continu. Et surtout vous serez pressés de connaître la fin. C’est bien là la grande réussite de Yishaï Sarid : avoir écrit un roman aussi captivant qu’enrichissant. Un roman qui évite également de choisir entre les deux camps. Mais ça ce n’est pas une surprise car Yishaï Sarid est le fils du député de gauche et infatigable combattant pour la paix Yossi Sarid. Bon sang ne saurait mentir. Dans Le poète de Gaza vous allez découvrir qu’il n’y a pas si longtemps Israéliens, et les habitants de ce qui est devenu une prison à ciel ouvert, étaient capables de cohabiter. Et puis tout est parti en vrille. Impossible de sortir de Gaza pour les Palestiniens et obligation pour les Israéliens de se protéger de ceux qui sèment la terreur. Mais à quel prix ? Où doit s’arrêter celui qui mène l’interrogatoire même pour ce qu’il estime être la bonne cause ? Au fil du roman l’agent des services secrets voit ses certitudes s’effondrer. En partie parce qu’il fréquente la belle Dafna. Qui pourrait rester insensible à de telles jambes ? C’est le côté sympa des livres. Même dans les situations les plus tragiques il reste toujours une petite place pour l’amour. Ce premier exemplaire de la littérature hébraïque chroniqué sur ce blog est véritablement magnifique.