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Le blog de Laurent Bisault

La vie de ma mère, Magyd Cherfi, Éditions Actes Sud

Fév 12, 2024 #Actes Sud

Ça commence par l’enterrement du père de Boris quelque part en Ariège dans une vallée où le portable ne passe pas. Une précision qui n’en est pas vraiment une. Slimane s’y est rendu pour assister son ami histoire qu’il soit entouré d’un maximum de personnes. Boris est celui avec qui Slimane est devenu le roi du burger halal. Au milieu de toute la famille et des proches du défunt Slimane rencontre la mère de Boris, et comme toujours quand « trop de Blancs s’agglutinent au mètre carré » autour de lui il se fond en « Arabe de service ». Il s’étonne d’être entouré d’une telle profusion de cochonnailles alors que Boris sait qu’il n’en mange pas même s’il n’est pas musulman, pas arabe non plus. Slimane est né de parents algériens mais kabyles. Et quand ils étaient jeunes sa mère prêtait bien plus attention à Boris que ne le fait aujourd’hui la nouvelle veuve avec lui. Quand Boris venait manger chez eux, juif ou pas juif, peu importait. La mère de Slimane traitait celui qu’elle appelait « Bourrisse » comme un sixième fils. Slimane n’a plus revu sa mère depuis huit mois, il a d’ailleurs toujours eu des relations compliquées avec elle. Ça remonte au moins au temps du lycée quand elle s’était jetée aux pieds du proviseur pour que son fils passe dans la classe supérieure. La honte ! « Les copains, eux, pensaient que, plutôt que de se coucher, il aurait fallu lui trancher la gorge, au principal du collège, et déclarer l’Algérie indépendante ! ». Mais Slimane n’assume pas d’avoir laissé tomber sa mère. Alors il va la voir dans son petit appartement après avoir essuyé le refus de son frère aîné à qui il a demandé de l’accompagner.

Dans La vie de ma mère quand on cuisine c’est sans doute qu’on est pédé

Émouvant, touchant, dérangeant, douloureux, drôle, le premier roman de Magyd Cherfi est une réussite magnifique. La vie de ma mère c’est un peu le Cavanna des Ritals ressuscité chez les Kabyles ou la tribu Malaussène de Pennac qui aurait migré de Belleville aux quartiers toulousain. Cavanna pour son récit d’une société issue de l’immigration. Pennac parce que la famille imaginée par Magid Cherfi grouille de partout même si elle ne comporte aucun chien. Et puis il y a la langue de Cherfi que je suis incapable de définir mais qui me fait un bien fou dans les oreilles. Comme Cavanna qui fut un prodige à l’école primaire Magid Cherfi s’est un jour mis en tête de devenir un as du subjonctif pour être plus français que les Français. Et à la sortie rien de compliqué, des phrases qui sentent bon l’oralité, qui frisent l’évidence alors qu’il est un des seuls à savoir les écrire. Dans La vie de ma mère quand on cuisine c’est sans doute qu’on est pédé, sans la pratique certes, mais pédé quand même, car selon Majid Cherfi on peut l’être dans les quartiers nord sans écarter les fesses. « Sa » famille est constituée d’hommes mangeurs de curés, de bouffeurs d’imams, qui pourtant supplient leur mère d’aller à La Mecque. Alors ne manquez pas ce formidable portrait d’une femme qui a passé sa vie à se sacrifier pour son mari qui la battait et pour ses enfants. Une femme qui se retrouve en morceaux sur la fin de sa vie et qui pourtant se décide à vivre au point d’en choquer sa progéniture. Elle ne s’est jamais plainte, ses fils et ses filles n’ont jamais rien su de ses fausses couches, et bien c’est fini. Elle leur fait savoir qu’elle souffre, qu’elle a assez donné, que son tour est venu. Après le temps des cardes bouillies viendra celui des tagines aux pruneaux. Le meilleur est devant elle n’en déplaise à ceux qui refusent de la voir sortir de son rôle initial.

Qu’en dit Bibliosurf
https://www.bibliosurf.com/La-vie-de-ma-mere.html#recherche

En 2001 le groupe Zebda s’était engagé dans la campagne municipale contre Douste-Blazy. Pendant l’ultime meeting de François Simon Majid Cherfi avait été royal en chantant Brassens

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