Impossible de le nier. La question de l’antisémitisme est, non seulement omniprésente dans l’actualité depuis les massacres commis par le Hamas le 07 octobre 2023, mais aussi particulièrement éruptive. Même si les statistiques du ministère de l’Intérieur prêtent à discussion, le nombre d’actes antisémites a augmenté depuis quelques mois. Ils font suite à une longue série d’événements tristement célèbres qui, de l’école Ozar-Hatorah de Toulouse en 2012 à la prise d’otages de l’Hyper Cacher de Paris en 2015, ont marqué l’histoire française. Mais ce qui est nouveau c’est qu’il ne semble plus possible d’évoquer la politique israélienne sans être accusé d’antisémitisme. Comme si on ne pouvait s’indigner à la fois des crimes du Hamas et de ceux de Tsahal à Gaza. L’un des intérêts de L’Histoire politique de l’antisémitisme en France [de 1967 à nos jours] est de lancer le débat sur l’équivalence de l’antisémitisme et de l’antisionisme. L’autre est de rappeler les relations qu’ont entretenues les principaux partis politiques français depuis une cinquantaine d’années avec l’antisémitisme, ce qui montre que ce fléau ne vient pas spécialement du côté si souvent dénoncé. On revisitera ainsi avec intérêt le passé collaborationniste du Rassemblement national dont il reste plus que des traces. On constatera la volonté de Reconquête ! de réécrire l’histoire de la déportation, et certains découvriront combien les rapports entre les partis de droite et la communauté juive ont été conflictuels. À gauche c’est surtout le parti communiste qui se compromit avec son antisémitisme, mais surtout par alignement sur l’URSS. On n’est pas obligé d’être d’accord avec l’ensemble de l’ouvrage et je ne le suis pas. Mais la lecture du livre permettra peut-être à certains de considérer que des humoristes ont le droit de parler d’ « une sorte de nazi sans prépuce » à propos de celui qui est accusé de crimes de guerre et de crimes contre humanité par le procureur de la Cour pénale internationale (CPI). Ou plus important qu’il n’est pas acceptable que le Premier ministre israélien accuse d’antisémitisme la CPI pour continuer ses massacres. Parce que la responsabilité morale que nous portons tous de ne pas avoir empêché la Shoah n’autorise pas à tout faire. Il faudra de toute façon que ceux qui gouvernent Israël comprennent qu’agir comme des bouchers, mine l’immense attachement que nous sommes nombreux à avoir pour ce pays. Quant au Hamas je n’en attends rien. Je souhaite uniquement que les habitants de Gaza sortent de l’horreur qui est actuellement la leur.
La création de l’État d’Israël en 1948 a profondément changé la signification de l’antisionisme
L’antisémitisme on voit de quoi il s’agit même si ses composantes ont varié au cours du temps (ici). Pour le sionisme c’est plus compliqué, car il n’y a pas de définition officielle, l’antisionisme n’étant contrairement à l’antisémitisme pas interdit par la loi. Le sionisme est une doctrine apparue au XIXe siècle quand devant les innombrables pogroms commis dans l’Empire russe, le journaliste juif austro-hongrois Theodor Herzl avança l’idée que seule la création d’un État qui leur serait propre permettrait la survie des Juifs. Selon la terminologie de l’époque c’est en Palestine, sur les anciens territoires des royaumes bibliques de Judée et d’Israël, qu’il convenait de le faire. Cet objectif a été loin de faire l’unanimité y compris au sein des communautés juives. S’y sont opposés les Juifs européens proches des mouvements socialistes qui pensaient que l’antisémitisme disparaîtrait avec la révolution prolétarienne. Il en a été de même de ceux qui, en Europe comme aux États-Unis, estimaient que la démocratie résorberait la haine des Juifs. Et également des Juifs les plus religieux qui considéraient comme hérétique la création d’un État juif sur la terre d’Israël sans intervention divine. La création de ce mouvement sioniste a suscité des vagues contraires dont la plus célèbre est sans doute la diffusion des Protocoles des sages de Sion qui prétendait lutter contre la « domination universelle » des Juifs. La création de l’État d’Israël en 1948 a profondément changé la signification de l’antisionisme qui pour beaucoup revenait désormais à être favorable à sa disparition. C’était le cas du Fatah de Yasser Arafat et du bloc soviétique sous et après Staline. Dès lors nombreux étaient ceux qui assimilaient antisionisme et antisémitisme. Ce que le philosophe Vladimir Jankélévitch avait explicité en disant que « L’antisionisme est l’antisémitisme justifié, mis enfin à la portée de tous. Il est la permission d’être démocratiquement antisémite .». Ça n’est pourtant qu’en partie vrai. Avec les guerres des Six Jours et du Kippour, l’intervention au Liban et ses massacres, s’est aussi posée la question de la conquête de nouveaux territoires par Israël. S’y référer ne signifie pas pour autant remettre en cause l’existence de ce pays. C’est ainsi que L’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (Ihra) a précisé que « l’antisémitisme peut se manifester par des attaques à l’encontre de l’État d’Israël lorsqu’il est perçu comme une collectivité juive ». Mais que « critiquer Israël comme on critiquerait tout autre État ne peut pas être considéré comme de l’antisémitisme ». L’Ihra est une organisation intergouvernementale à laquelle ont adhéré trente-quatre États principalement européens. Elie Wiesel en a été président honoraire et l’universitaire israélien Yehuda Bauer en est le conseiller scientifique.
Le FN est alors le seul parti à demander l’abolition de la loi Gayssot sur le négationnisme
L’histoire du Front national (FN) est truffée de collusions avec des anciens de la collaboration et d’anciens SS. En 1970 lors du premier congrès du FN des militants accueillent des délégués italiens en tendant le bras comme les fascistes italiens. Le responsable de la communication du parti est alors François Duprat qui n’hésite pas à parler des tares physiques des Israéliens. Pour lui pas de doute il convient de soutenir les Palestiniens et surtout pas l’État juif. Jean-Marie Le Pen n’est pas en reste avec sa société d’édition phonographique qu’il a créée avec un ancien Waffen SS. Parmi les fondateurs du FN François Duprat est celui qui incarne le mieux les racines nauséabondes du parti. Car ce négationiste après une exclusion revient en 1974 comme numéro deux du FN. Par la suite J.M. Le Pen multiplie les déclarations antisémites comme celle sur les chambres à gaz « un point de détail de la Seconde Guerre mondiale ». Le FN est alors le seul parti à demander l’abolition de la loi Gayssot sur le négationnisme. Quand elle succède à son père en 2011 Marine Le Pen sait qu’elle doit rompre avec cette tradition de l’extrême droite pour progresser aux élections. Ce qui ne l’empêche pas en 2012 de participer à un bal de nostalgiques de l’Allemagne nazie. Plus récemment elle a adoubé parmi les députés du nouveau Rassemblement national Frédéric Boccaletti un ancien négationniste. Pour elle les choses sont claires : pour lutter contre l’antisémitisme il faut s’en prendre aux islamistes et à leurs soutiens. Mais en novembre 2023 Jordan Bardella estimait encore que J.M. Le Pen n’avait pas été antisémite bien qu’il ait été six fois condamné pour cela (ici). Avant de dire le contraire quelques mois plus tard…
Zemmour a pourtant fait de bons scores aux élections là où les communautés juives sont bien implantées
Un parti d’extrême droite fondé par un homme d’origine juive. Un homme qui a tenté de réhabiliter Pétain, celui qui a spolié puis déporté 74 000 Juifs de France en collaborant avec les nazis. Le tout en espérant que son mouvement politique puisse unir une extrême droite réhabilitée et la droite classique. C’est tout le paradoxe de Reconquête ! le parti d’Éric Zemmour créé en décembre 2021. Lui se veut libéral en économie, et surtout hostile à l’immigration non européenne. Il prône la « remigration » et prétend s’opposer à un « Grand Remplacement » fantasmé. Reconquête ! c’est un peu la Reconquista du Moyen Âge qui avait bouté hors d’Espagne les Musulmans. Zemmour est né de parents juifs dont la famille est devenue française grâce au décret Crémieux de 1870. Il se déclare non sioniste, membre du peuple français et de culture chrétienne. En forte opposition au Crif le Conseil représentatif des institutions juives de France, Zemmour a pourtant fait de bons scores aux élections là où les communautés juives sont bien implantées. Dans certains bureaux parisiens, à Saint-Mandé et Sarcelles, dans la circonscription d’Israël des Français de l’étranger. Sans doute parce qu’il déclare que les Juifs agressés le sont par des noirs et des arabes, pas par des disciples de Mauras. Entre ses convictions d’extrême droite et ses origines familiales Zemmour a choisi. À l’en croire Pétain aurait protégé les Juifs français, la meilleure preuve étant que nombreux sont ceux qui ont échappé à la déportation. Comme si les réseaux de socialisation, les Justes et même certains policiers ne les avaient pas aidés. Son récit mensonger a été démonté par l’historien Laurent Joly dans L’État contre les Juifs. Si Zemmour défend aujourd’hui Israël c’est au nom de son combat de civilisation, celui qu’il prétend mener au Proche-Orient comme en France contre l’islamisme. Ce qui l’a amené à participer à la marche de novembre 2023 contre l’antisémitisme après avoir nié le plus grand massacre des Juifs commis en France. Rien ne l’arrête…
C’est la politique étrangère française qui crispe une partie de la communauté
« Les Juifs, un peuple d’élite, sûr de lui-même et dominateur ». Cette phrase prononcée par Charles de Gaulle en 1967, cinq mois après la guerre des Six Jours, suscite de nombreuses réactions quand elle est prononcée. D’abord en Israël où Menahem Begin futur Premier ministre l’associe aux Protocoles des sages de Sion. Si bien que toute réticence énoncée par de Gaulle envers la politique israélienne sera désormais associée à de l’antisémitisme. Et aussi en France où Raymond Aron évoque lui aussi l’antisémitisme. Par la suite de nombreux électeurs juifs se détourneront de celui qui avait incarné pour eux le combat français contre le nazisme. Leurs relations avec son successeur Georges Pompidou ne s’améliorent pas tant il se montre réticent à faire juger des criminels de guerre. Nouvelle détérioration avec la guerre du Kippour de 1973 quand le gouvernement français prend ses distances avec Israël. De fait de de Gaulle à Giscard, c’est la politique étrangère française qui crispe une partie de la communauté. Ça se détériore encore un peu plus en 1979 et 1980 lors des attentats commis en France contre des lieux fréquentés par des Juifs. Le paroxysme est atteint après les déclarations de Raymond Barre suite à l’attentat contre la synagogue de la rue Copernic qui fait quatre morts et quarante-six blessés. Il y a de quoi : « Cet attentat odieux qui voulait frapper les Israélites qui se rendaient à la synagogue et qui a frappé des Français innocents qui traversaient la rue Copernic ». En 1981 le vote des Juifs français se porte ainsi à 65 % sur François Mitterrand au second tour de l’élection présidentielle. Et ce ne sont pas les alliances des partis de droite avec le FN, notamment aux régionales de 1987, qui vont réconcilier l’électorat juif avec la droite. Ce n’est qu’à partir du discours de Jacques Chirac de 1995, sur la responsabilité de la France dans la déportation des Juifs, que le mouvement s’inverse, et Nicolas Sarkozy en bénéficie grandement quand il devient président de la République en 2007. Élu en 2017 Emmanuel Macron déclenche deux polémiques en rapport avec l’antisémitisme. En rendant hommage à Pétain chef militaire de la Grande Guerre. Puis en évoquant le pays légal et le pays réel, une expression empruntée à Charles Mauras, un dirigeant de L’Action française condamné en 1945 pour haute trahison et intelligence avec l’ennemi. À titre personnel je dirais que ces deux événements ne font évidemment pas d’Emmanuel Macron un antisémite. Mais bien davantage un défenseur de la bourgeoisie qui se montre souvent nostalgique des symboles passés de sa classe sociale. Rien à voir avec ce qu’ont incarné Raymond Barre et Jean-Claude Gaudin dont les dérapages antisémites sont largement documentés dans le livre.
Les auteurs du livre parlent « d’antisémitisme subliminal » à propos de Jean-Luc Mélenchon
Parmi les partis de gauche le parti communiste est celui qui a le plus versé dans l’antisémitisme. Mais bien plus par alignement sur le bloc soviétique que par idéologie. Les groupes yiddish de la Main-d’œuvre immigrée (MOI) ont ainsi joué un rôle important dans la résistance communiste pendant la guerre. Ce qui n’a pas empêché le parti français de couvrir les purges antisémites des partis frères en Union soviétique comme en Pologne. L’appareil français en était d’autant mieux informé que la famille de Henri Krasucki, membre du bureau politique du PCF et dirigeant de la CGT, en a été victime. Pour autant le parti français qui a eu beaucoup de dirigeants juifs comme Waldeck Rochet ou Charles Fiterman s’est par la suite défait de cette maladie, et ses difficultés avec la communauté juive française vinrent pour l’essentiel de ses positions sur le Proche Orient. Quant à la France insoumise (LFI) le premier parti de gauche aujourd’hui, les auteurs lui reprochent principalement de ne pas avoir dénoncé l’antisémitisme d’attentats comme celui de Toulouse, que le mouvement de Jean-Luc Mélenchon avait présenté comme l’acte d’un fou. Mais en quoi cela ferait-il de lui un antisémite ? Autre critique, ce parti se focaliserait sur l’antisémitisme d’extrême droite sans évoquer celui de communautés musulmanes. Quant aux reproches adressés à LFI de ne pas avoir parlé de l’antisémitisme des Gilets jaunes cela ne me semble pas justifié, car ce mouvement n’a jamais été structuré, et en aucune mesure en capacité d’éviter des dérapages individuels. D’ailleurs les auteurs du livre parlent « d’antisémitisme subliminal » à propos de Jean-Luc Mélenchon, un concept que je maîtrise mal… Il a aussi été reproché à LFI d’avoir soutenu le leader travailliste Jeremy Corbyn, après qu’il a été accusé d’antisémitisme. Or cette thèse a été tellement contestée qu’on n’est pas obligé d’y croire. Pour ma part je suis persuadé que ce qui est reproché à Jean-Luc Mélenchon ce sont ses soutiens au peuple palestinien et cela bien avant le 7 octobre 2023. Ce qui ne nous oblige en aucune façon d’adhérer aux premières déclarations de LFI après cette date. C’est probablement ce positionnement qui a motivé le Crif pour évacuer Mélenchon en compagnie de Marine Le Pen de la marche blanche organisée en mars 2018 en hommage à Mireille Knoll. Autre élément explicatif la volonté de LFI de transformer la société française. Un choix incompatible avec le Crif qui soutient depuis longtemps la droite au point d’avoir défilé aux côtés du Rassemblement national et de Reconquête ! en novembre 2023. Il est loin le temps où ce mouvement appuyait François Mitterrand.
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