Surbooké

Le blog de Laurent Bisault

Madelaine avant l’aube, Sandrine Collette, Éditions de l’Épée

Sep 16, 2024 #Éditions de l'Épée

Rose vit seule dans sa petite maison. Elle a eu deux fils, ils sont partis et ne sont jamais revenus. Cela fait vingt ans qu’elle ne les a plus vus. Rose a préféré rester sur sa terre âpre et rêche, coupée du monde par le fleuve Basilic. C’est un endroit que personne ne lui dispute. Rose habite derrière le village de La Foye, dans un ensemble de trois maisons qu’on appelle Les Montées. Un lieu entouré de forêts et de marais, adossé à une montagne presque verticale que personne n’a jamais gravie. Chaque matin Rose aperçoit Eugène et son grand cheval qui s’en vont débarder de l’autre côté grâce à l’Ancienne qui leur fait passer le fleuve. La ferme d’Eugène et d’Aelis est plus haute que celle de Rose, juste en face de celle de Léon et Ambre. La jeune femme a eu moins de chance que sa sœur jumelle Aelis, parce que Léon son mari est un ivrogne et un salaud depuis son accident. On pourrait aussi dire qu’Eugène n’en a pas eu non plus puisque, si Aelis est belle à l’extérieur, elle a en elle de l’aigreur et de la froideur. Est-ce parce qu’elle a perdu deux de ses cinq fils ? Pas forcément, puisque ainsi va l’existence en cette époque qui enlève la moitié des enfants avant leurs dix ans. Germain son fils le plus âgé vient de passer ce cap. Il déborde d’énergie et de rires quand il emmène les cochons à la glandée. Artaud son frère cadet est arrivé une année après lui, il fait tout en moins que son aîné, comme si le plus âgé avait capté toute l’énergie de la fratrie. Mayeul est le cinquième enfant de la famille. À six ans il reste encore à la ferme avec sa mère qui veut le préserver car elle connaît sa chance d’avoir trois fils. Certains au village comme Ambre et Léon n’ont jamais eu d’enfants. Comme les deux sœurs n’ont jamais cessé de s’aimer, Aelis propose que les deux familles se réunissent dans la même maison. Peu importe laquelle. Ambre préférerait celle d’Aelis, sans son sale mari. Ce projet va prendre forme de manière inattendue, avec l’arrivée de Madeleine, une petite fille sauvage venue de nulle part.

Il leur faudra de toute façon disposer d’assez de nourriture pour survivre

C’est un roman noir, très noir, beau, très beau, un roman extrêmement bien écrit. C’est le dix-septième de Sandrine Collette, le premier que je lis et assurément pas le dernier. Madelaine avant l’aube figure dans la première liste des livres sélectionnés pour le Goncourt et rien n’interdit de penser qu’elle pourrait dégoter le gros lot. L’histoire nous emmène dans une région peu accessible, à une période non précisée, probablement avant la Révolution française car les seigneurs ont encore tous les droits sur les paysans. Celui de saccager les cultures pendant les chasses, comme de violer et d’abîmer les femmes. Et si les gueux y échappent, il leur faudra de toute façon disposer d’assez de nourriture pour survivre. Sandrine Collette décrit les prélèvements dus par les paysans aux nobles, la dureté des journées aux champs quand les hommes doivent tirer le soc à la force des bras et du dos parce que les bœufs se font rares. L’obsession de la communauté est de supporter la faim quand le gel ou la pourriture s’abattent sur les grains. À défaut de farine ils mangeront des fèves allongées à la sciure de bois. Quant à la viande ce sont deux porcelets par an dans les bons millésimes, et des souris quand il n’y a plus rien. Sandrine Collette nous raconte les solidarités qui se mettent en place dans les familles, et parfois à l’intérieur des villages où on cuit le pain dans le même four pour ne pas gaspiller le bois. Mais son roman est d’abord celui des lâchetés de ceux qui veulent survivre et des révoltes qui en découlent.

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