Surbooké

Le blog de Laurent Bisault

Non loin du Palacio de La Moneda siège de la présidence de la République chilienne, Sébastien Desboz tient le Bar du Suisse. En ce début du mois de février 1973, trois ans après l’élection du socialiste Salvador Allende à la tête de l’État, le pays reste sous tension. L’inflation dépasse les 150 %, et les queues sont interminables devant les magasins au point qu’on y amène son pliant. Les grèves fomentées par les patrons, qui espèrent faire tomber le gouvernement de gauche, se multiplient. Dans quelques jours les élections parlementaires pourraient ramener la droite au pouvoir. Sébastien a la cinquantaine avenante, il s’appelle en réalité Paul-Henri de la Salles. Il est né à Paris, il a la nationalité suisse, et il s’est réfugié après la guerre en Argentine pour oublier ses combats à Berlin dans le cadre de la Division Charlemagne, la division des Français de la Waffen-SS. C’est au Chili qu’il a refait sa vie en consacrant autant de temps à ses maîtresses qu’à la gestion de son établissement. La jeune Pilar relève des deux domaines : Paul l’a engagée comme serveuse il y a deux ans avant de devenir son amant. Ils se sont ensuite séparés en bons termes tout en continuant à se voir au bar. Or Pilar ne s’y est pas montrée ce matin, ce qui ne lui est jamais arrivé. Quand Paul la revoit à la morgue de Santiago, la jeune femme de vingt-trois ans a été violée, atrocement mutilée puis assassinée.

On a droit à une description extrêmement documentée de la fin du Chili socialiste

Il y a de multiples façons de s’assurer qu’un roman est réussi. Une des plus efficaces est de se demander si vous étiez impatient pendant sa lecture de le retrouver. À l’aune de ce critère Moneda est un total succès comme on aimerait en croiser plus souvent. Il est vrai que Stéphane Keller n’a pas lésiné en proposant un bouquin qui tient à la fois du récit historique, du roman d’espionnage et du roman noir. Côté histoire on a droit à une description extrêmement documentée de la fin du Chili socialiste. Pourtant Salvador Allende la méritait sa victoire à l’élection présidentielle, puisque ce n’est qu’à sa quatrième tentative qu’il avait défait ses adversaires. D’un rien, avec à peine plus d’un point d’avance sur le premier des deux candidats de droite, et seulement 36 % des voix. À peine élu son sort était scellé. La bourgeoisie chilienne et plus encore les États-Unis avaient décidé que ce socialiste marxiste n’avait rien à faire à la tête de l’État. Allende s’était en plus illusionné en considérant que les militaires demeureraient loyalistes. C’est ainsi qu’il avait choisi peu avant le coup d’État Pinochet comme commandant en chef de l’armée chilienne.

Beaulieu déteste ce Juif, américain de fraîche date, célèbre pour son priapisme

Le roman d’espionnage est centré sur la lutte de pouvoir entre les services secrets de l’armée américaine incarnés par le général Lee Preston Beaulieu, et Henry Kissinger le Secrétaire d’État de Richard Nixon. Rien ne les sépare dans leur volonté de se débarrasser des rouges, mais ils veulent tous les deux diriger les opérations. Alors ils s’espionnent mutuellement et tentent de prendre le dessus. Beaulieu déteste ce Juif, américain de fraîche date, célèbre pour son priapisme et l’utilisation toute personnelle de ses secrétaires. Mister Kis n’est pas en reste et il dispose pour piéger le militaire de la CIA et du FBI. Le roman noir s’appuie sur le personnage de Paul-Henri de la Salles, tellement controversé en raison de son passé sulfureux. Il n’en est pas moins attachant dans sa volonté de rendre justice à Pilar, beaucoup plus que ne le sont les grands bourgeois qui tournent autour d’Allende. Moneda est au total une très grande réussite dont hélas on connaît la fin. Le président meurt pendant l’attaque du palais présidentiel. Pinochet emploie le Stade national de Santiago pour tout autre chose que le football. Et Mister Kis obtient le Prix Nobel de la paix en 1973. À vomir.

Qu’en dit Bibliosurf ?
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