Surbooké

Le blog de Laurent Bisault

Socrate à vélo, Guillaume Martin, Éditions Grasset

Fév 13, 2025 #Grasset

Grande nouvelle : les organisateurs du Tour de France abandonnent les équipes de marque et en reviennent aux formations nationales. Objectifs : développer l’audience internationale de la course et réduire sa dépendance aux intérêts financiers. Malgré son potentiel modeste, la fédération grecque postule ce qui lui vaut d’être retenue. C’est son dossier de candidature qui a fait la différence. Rédigé par les coureurs qui se prétendent philosophes, il regorge d’intelligence. Et les voilà le 10 décembre en stage de préparation à Olympie pour accumuler les heures de selle et former un collectif. Arrivent ainsi Socrate et son œil malicieux, le leader de l’équipe, suivi de son lieutenant le musculeux Platon. Celui qui protégera Socrate dans la plaine en bouffant du vent. Juste derrière se présente Aristote un jeune aux dents longues, et on ne parle pas ici de son pédalier. Sûr que cette équipe ne fonctionnera pas à l’EPO, ou alors à l’Erudition, à la Philosophie et aux Opinions. Et si un ancien employé d’une poissonnerie comme Vingegaard a gagné deux fois le Tour, pourquoi Socrate qui a commencé comme fantassin n’en ferait-il pas autant ? Car pour gagner la plus grande course du monde il faut être dur au mal. Alors comme notre fier Hellène dispose en plus d’un cerveau peu commun dans le peloton, le voilà bien muni.

Guillaume Martin s’est vite lassé d’être réduit à ses études

Pour un peu Guillaume Martin serait plus connu par ses études de philosophie que pour sa carrière de cycliste professionnel. Il est vrai que côté intellect il peut exhiber son master de philo, sa pièce de théâtre Platon vs Platoche, et trois bouquins qui traitent du rapport du corps et de l’esprit. Socrate à vélo en est chronologiquement le premier, et c’est un vrai plaisir que de le lire. Guillaume est aussi un excellent coureur, surtout en montagne, parce qu’il manque d’explosivité dans les sprints. Il a été le meilleur grimpeur du Tour d’Espagne en 2020, et a fini 8e de la Grande Boucle l’année suivante. Dans Socrate à vélo Guillaume Martin s’étonne que l’on réduise automatiquement un cycliste à son corps. Alors que nous dit-il le peloton est divers, composé de personnes qui une fois descendues de leur selle peuvent se passionner pour l’art contemporain, le travail à la ferme, les belles voitures. Ou pour rien d’autre que leur sport. Guillaume Martin s’est vite lassé d’être réduit à ses études par des journalistes qui reproduisaient le portrait qu’avait fait de lui Pierre Carrey dans Libération. Un article où le journaliste interrogeait le coureur sur ses rapports avec la philosophie. Il revendique le droit d’assumer tout autant ses deux passions. C’est pourquoi il se qualifie de « vélosophe » et raconte qu’il agrémente ses sorties à vélo de l’écoute de France Culture. Ce qui ne l’empêche pas parfois de rouler sans penser à rien, juste en suivant le parcours prévu. Surtout quand l’intensité de l’effort mobilise l’entièreté de ses capacités.

Attention aussi aux Hollandais et leur leader Spinoza

Dans Socrate à vélo Guillaume Martin imagine ce que serait la plus grande course du monde avec pour participants de grands esprits. Les trois vélosophes grecs précédemment cités luttent ainsi pour les maillots jaune, vert, blanc ou à pois, ou pour une simple victoire d’étape. Ils affrontent une équipe d’Allemagne où figurent Kant futur auteur d’une Critique de la raison vélocipédique, ainsi que Schopenhauer, Hegel, Leibniz, Marx, et d’autres coureurs plus communs. On devra disposer d’un minimum de culture cycliste pour apprécier leur nom : Rudi Altich, Erik Zadel, Jens Vogt et Jan Ullrig. Et pour coacher tout ce beau monde, un certain Albert Einstein. Il y a d’autres pointures dans le peloton comme les Français Blaise Pascal qui s’est aguerri en montant le puy de Dôme dès l’âge de sept ans, Henri Bergson, et l’excellent rouleur Jacques Anquepil, tous dirigés par Sartre. Attention aussi aux Hollandais et leur leader Spinoza. Nietzsche a un statut particulier dans ce Tour qu’il court en indépendant. Il en est de même dans l’univers philosophique de Guillaume Martin qui lui a consacré son mémoire de master intitulé « Le sport moderne : une mise en application de la philosophie nietzschéenne ? ». Non parce qu’il prétendait avoir découvert chez le penseur allemand un quelconque secret pour pédaler plus vite. Mais parce que la glorification de la victoire chez Nietzsche lui rappelait l’essence de la compétition : gagner et non pas participer comme le pensait Coubertin. On ressort heureux de cette lecture, d’avoir revu le Port de Balès le plus sauvage des cols pyrénéens, et d’avoir beaucoup souri. On n’y gagne pas pour autant des certitudes philosophiques, car comme le rappelle Guillaume Martin, Socrate n’aimait pas répondre aux questions mais bien davantage en poser. Mais on retiendra au moins ce slogan du vélosophe Marx qui souhaite que même les plus anonymes des cyclistes puissent gagner une étape : « Baroudeurs de tous les pays, unissez-vous ! ».

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