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Le blog de Laurent Bisault

Jean-Luc Tavernier, un ancien directeur de l’Insee au lourd passif

Juin 30, 2025

Il vient de quitter l’Institut national de la statistique et des études économiques treize ans après en avoir été nommé directeur général. Libre à chacun de penser ce qu’il veut de l’évolution des travaux de l’Institut sur cette période. Ce n’est pas ici ce qui m’intéresse. Ce que je souhaite c’est raconter comment l’homme a procédé au cours de sa carrière. Jean-Luc Tavernier a été mêlé avant son arrivée à l’Insee à une affaire politico-financière de l’époque sarkozyste. À un moment où la justice ne poursuivait que rarement les proches du pouvoir. On pourrait aussi s’interroger sur la production statistique de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss) qu’il dirigea en 2005 et 2006. Car il en fallut du temps à cet organisme pour produire des données sur le contrat nouvelles embauches (CNE), cohérentes avec celles du service statistique du ministère du Travail. Il est vrai que Dominique de Villepin, Premier ministre du moment, tenait beaucoup à « son » nouveau contrat. Mais le mouvement social eut heureusement la peau de ce « smic-jeunes ». La gestion de l’Insee par Tavernier a été caractérisée par une grande violence, il a verrouillé les débats, couvert les mauvaises actions des plus hauts cadres, et parfois instauré la peur.

Il fut de ceux qui aux côtés d’Éric Woerth tordirent le bras de l’administration fiscale

C’est Mediapart et plus précisément Laurent Mauduit qui a soulevé le lièvre. Je reprends ici ce qu’il a écrit sur le site de son média et développé dans son livre Tapie le scandale d’État publié en 2013 chez Stock. Pour beaucoup quand on parle des affaires Tapie on pense à l’incroyable procédure qui l’opposa au Crédit lyonnais. Et qui aboutit à une décision du Tribunal arbitral lui attribuant 403 millions d’euros en 2008. Avant que l’autorité judiciaire reprenne la main en demandant le remboursement de la somme. Mais ce n’est pas à ce stade qu’est intervenu Tavernier. Il fut par contre de ceux qui aux côtés d’Éric Woerth tordirent le bras de l’administration fiscale pour faire « cadeau » de 58 millions d’euros à Tapie. À cette époque Tavernier était sarkoziste, et il avait participé à l’élaboration du programme économique du candidat à la présidence de la République. C’était son droit, cela n’avait rien d’illégal, mais ça aurait dû poser question quand il fut nommé à la tête de l’Insee. Car quel autre directeur avait préalablement fait aussi clairement état de ses opinions politiques avant sa nomination ? Mais revenons aux 403 millions et à leur taxation comme le raconte Laurent Mauduit. « L’intéressé est plutôt adepte de l’imposition zéro. Et il a deux autres objectifs. Tapie est très pressé de jouir du fruit de sa victoire. Et il veut demander au fisc combien il doit payer avant de remplir sa déclaration d’impôts, car cette procédure permet d’éviter une contestation ultérieure par l’administration.». Plutôt que d’adresser la question au service des impôts dont il dépend, Tapie obtient d’être reçu par le ministre du Budget Éric Woerth. Sont également présents son directeur de cabinet Jean-Luc Tavernier, et Thierry Métais responsable de la cellule fiscale chargée des hautes personnalités. À ce moment une seule certitude : seuls les 45 millions attribués au titre du préjudice moral ne sont pas imposables. Mais quid du reste ?

Tapie convie alors Tavernier et Métais dans un grand restaurant parisien

Le patron des services fiscaux estime qu’il faut les taxer à 33 % au titre de l’impôt sur les sociétés, ce qui donnerait selon les interprétations une taxation d’une petite centaine de millions d’euros. Tapie et ses fiscalistes plaident pour une imposition sur les plus-values de 5,5 millions d’euros. Malgré l’appui apporté par Claude Guéant à Tapie, l’administration fiscale n’en démord pas : toute autre décision qu’une imposition sur les sociétés serait illégale. Tapie convie alors Tavernier et Métais à un déjeuner dans un grand restaurant parisien Chez Laurent. « Le 17 décembre 2008, Philippe Parini, le patron de la DGFIP, envoie un courriel à son directeur juridique, Jean-Pierre Lieb : “ Jean-Luc Tavernier me dit avoir rencontré Tapie et conclu les modalités de règlement de sa situation fiscale “ ». La suite de l’histoire est longue, complexe, pleine d’interventions qui n’ont guère d’équivalents dans l’histoire fiscale. Tapie finit par bénéficier d’une remise de 58 millions d’euros. « En 2016 le procureur général près la Cour des comptes, Gilles Johanet, estima que le traitement du dossier fiscal de Tapie avait donné lieu à un délit de concussion [c’est-à-dire à l’octroi d’un avantage indu]. L’ancien ministre Éric Woerth et le patron de l’Insee Jean-Luc Tavernier étaient visés. Michel Sapin et Christian Eckert, qui n’avaient donné aucune suite à l’affaire, étaient vertement sommés de s’y atteler ». Les suites pénales qui visaient explicitement Jean-Luc Tavernier et Éric Woerth n’ont jamais été engagées. Jean-Luc Tavernier n’a jamais été poursuivi par la Justice. À chacun donc se forger son opinion. Avec pour ma part une conviction, celle que Mediapart ne se trompe jamais en révélant une affaire d’une telle importance.

Tavernier ne supporte pas la contradiction

Tavernier a souvent été violent dans sa gouvernance de l’Insee. Il aime pourtant se donner le beau rôle. Deux ou trois ans après sa nomination, il s’était fendu d’un message à l’ensemble du personnel pour se féliciter du rétablissement du dialogue social. C’était injuste pour la précédente équipe de direction. Certes si Jean-Philippe Cotis s’était grandement désintéressé de la gestion de l’Insee, ce n’était pas le cas de l’ancienne secrétaire générale Virginie Madelin. En réalité Tavernier ne supporte pas la contradiction. Cela l’avait amené à me menacer de me sucrer des primes, quand je m’étais brièvement exprimé sur le fonctionnement de l’Insee en dialoguant avec l’économiste Olivier Bouba-Olga (ici). Mais ce n’était rien en comparaison de la suite. Sur la seule dernière année les communiqués des organisations syndicales de l’Insee dénoncent une « régression syndicale », un « management agressif de la direction », un « management brutal », un « chef du service Études et Diffusion d’Occitanie muté de manière autoritaire », un « directeur général qui refuse d’appliquer les textes sur la santé au travail » (ici). La réalité est que Tavernier a systématiquement couvert les violences commises par la secrétaire générale Karine Berger (ici). Et pas uniquement à la direction générale, dans certaines directions régionales également. Dialogue social ? Vous aviez dit dialogue social ? Il y avait bien mieux à faire dans ce bel Institut de la statistique.

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