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Le blog de Laurent Bisault

Les gens qui rêvent, Guillaume Martin-Guyonnet, Éditions Grasset

Juil 4, 2025 #Grasset

Avril 2009, petites routes de la Suisse normande, une région vallonnée aux confins de l’Orne et du Calvados. Guillaume Martin-Guyonnet a quinze ans, il découvre le mélange du plaisir et de la souffrance à vélo. Il n’imagine pas encore devenir coureur cycliste professionnel. Avril 2022, Guillaume profite d’un rare moment de disponibilité pour retourner au lieu-dit La Boderie où il a grandi. Son palmarès est déjà important : il est le leader de son équipe, il a fini huitième d’un Tour de France, il cumule plus de dix victoires chez les professionnels. Guillaume ressent pourtant une insatisfaction permanente, il a peur de tomber, de son statut social, et de son vélo en compétition. Juin 1954, Dani le père de Guillaume a six ans. Il est copain avec le P’tit Constant un journalier d’une quarantaine d’années qui vend sa force de travail contre le couvert et un gîte fait d’un lit de paille dans une grange. Dans ce coin normand on vit des fermes et de l’usine dont on apprendra plus tard qu’on y manipulait de l’amiante. Andrée la grand-mère de Guillaume y travaille, du moins quand elle ne fait pas vivre sa maisonnée car Bernard son compagnon n’est pas souvent là. Il est mécanicien automobile et parfois contrebandier amenant du calva à Paris. Bernard est arrivé quand Dani avait cinq, ce qui ne l’a jamais empêché de prendre soin d’Andrée et de son fils. Août 1567, Guy Lefèvre est un érudit de la Boderie, un homme de lettres qui a beaucoup écrit, beaucoup voyagé aussi. Il s’apprête à quitter son manoir, à partir à Anvers pour participer à une grande œuvre novatrice : la première édition de la Bible polyglotte qui présentera le texte sacré en cinq langues du grec au syriaque.

Leurs vies ne sont jamais définitivement tracées

Ce quatrième ouvrage de Guillaume Martin-Guyonnet est sans doute le plus personnel, le plus touchant. Certains remarqueront que le philosophe cycliste a modifié son patronyme depuis la sortie de Socrate à vélo, en joignant le nom de sa mère à celui de son père. Mais ça n’a rien changé, ni à sa manière de courir, ni à son écriture. Celui que Denis Cheissoux appelle le « vélosophe » nous emmène dans le sillage de ses trois personnages qui ont tous vécu au manoir de la Boderie. Guillaume lui-même, son père, et Guy le lettré de la Renaissance. On se contente de peu dans ce coin normand. À vingt-deux ans Guillaume est très content de signer son premier contrat pro qui le rémunère au salaire minimum. Il a pourtant déjà gagné une étape du Tour de l’Avenir et la version Espoir de Liège-Bastogne-Liège. Et accessoirement obtenu un master de philosophie. Dani n’avait enfant jamais imaginé quitter son village, mais il a suivi ses parents à Paris. Le voilà apprenti typographe, un métier qu’il a choisi sachant que dans son milieu personne ne sait ce que faire des études signifie. Guy est un mystique qui se voue entièrement pendant cinq années à la tâche qu’on lui a confiée. Au point que sa traduction terminée il n’a rien vu venir des massacres de la Saint-Barthélemy, quand les catholiques tuèrent plusieurs dizaines de milliers de protestants. Leurs vies ne sont jamais définitivement tracées. Guillaume fera du vélo son travail en abandonnant l’insouciance qui avait longtemps été la sienne. Dani multipliera les expériences professionnelles, il participera aux événements de mai 68, et surtout rencontrera Marie Guyonnet. Guy ne passera pas sa vie dans la défense de Dieu comme il l’avait imaginé. Tous reviendront à la Boderie où Guillaume fait revivre le passé en reconstruisant les murs du manoir, tout en s’interrogeant sur les contradictions de son existence. Les risques du sport de haut niveau qui altère la santé, et le plaisir ressenti en montant un col dans la douleur.

Portrait d’un cycliste qui philosophe sur ses terres de l’Orne, Denis Cheissoux, CO2 mon amour
https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/co2-mon-amour/co2-mon-amour-du-dimanche-09-fevrier-2025-3821193

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