Surbooké

Le blog de Laurent Bisault

Marques de fabrique, Cécile Baudin, Éditions Les Presses de la Cité

Sep 7, 2025

Décembre 1893, département de l’Ain, Claude Tardy inspectrice du travail entre dans l’atelier de couture. Il est officiellement familial et ainsi exclu de la réglementation sociale. C’est pourquoi beaucoup de grandes maisons confient à ces structures une partie de leur activité. Mais Claude Tardy ne s’arrête pas à la propriétaire Mme Gromier et à ses trois sœurs. Elle demande où se trouve l’autre atelier, celui qu’elle a détecté de l’extérieur. Elle a bien fait car derrière une porte elle découvre huit gamines âgées de huit à douze ans, installées dans le noir devant une table recouverte de tissus. Elles sont là depuis six heures du matin, elles termineront à vingt et une heures avec une seule pause de soixante minutes dans la journée. L’échange avec Mme Gromier s’arrête rapidement car les deux femmes apprennent qu’il y a eu un mort à la tréfilerie située à proximité. Claude s’y rend en compagnie de son supérieur hiérarchique, l’inspecteur divisionnaire du travail Edgar Roux. Et quand elle aperçoit le corps, elle comprend qu’elle ne l’oubliera pas. L’homme est jeune, il s’appelle Constantin, il s’est pendu avec des fils métalliques qui lui ont à moitié sectionné la tête. Premier mars 1894, usine-pensionnat des soieries de Saint-Jean-Perrin. Sœur Placide accueille douze petites filles et leur montre les ateliers. Elles travailleront à la filature. L’usine est un modèle d’optimisation des coûts, les hommes sont payés davantage que les femmes, les enfants moins que les adultes, l’Église met à disposition de la main-d’œuvre contre l’entretien de son patrimoine immobilier et une contribution au budget du culte. Début 1894, Lac de Sylans au-dessus de Nantua dans l’Ain. La Société des glacières de Paris cultive la glace et la livre aux restaurants, bars et hôpitaux les plus huppés de toute la France et même à Alger. Claude Tardy et Edgar Roux y débarquent pour enquêter sur l’accident d’un homme tombé dans les eaux glacées. L’inspectrice du travail aperçoit une main dans la glace qui annonce dans son prolongement un corps. Il s’appelle Alfred Bourgeois, c’est un saisonnier qui travaillait sur le site et un sosie parfait de l’ouvrier retrouvé pendu dans la tréfilerie. L’examen du corps montrera qu’il est mort à la même période que Constantin.

On découvre dans le sillage de Claude le travail des enfants

Ce premier roman de Cécile Baudin annonce ce que seront les suivants : des romans historiques extrêmement bien documentés, construits autour d’une trame policière. On est ici en pleine révolution industrielle dans l’Ain, quand une jeune inspectrice du travail enquête sur de mystérieuses disparitions. Elle les découvre en naviguant entre les ateliers et les usines. Elle doit pour cela se déguiser en homme, car sa réussite au premier concours ouvert aux femmes ne l’autorise ni à pénétrer dans des ateliers avec des machines, ni dans des lieux où œuvrent des hommes. On découvre dans le sillage de Claude, le travail des enfants, les risques encourus par les ouvriers, ainsi que la morgue des patrons et les méfaits du patriarcat. L’Église catholique occupe une place importante dans ces processus en ponctionnant les jeunes filles qu’elle éduque et qu’elle ne libérera que pour les marier. Elles auront alors le droit de toucher leurs émoluments ainsi que le trousseau qu’elles se seront constitué. Si ce n’est pas de la vraie reproduction sociale alors je n’y connais rien. Certes des réglementations se mettent progressivement en place pour protéger ceux qui travaillent, mais elles ne sont que peu appliquées. Il est ainsi facile pour les employeurs de tricher sur l’âge des enfants en récupérant des livrets où figurent leur date de naissance. On est en droit de préférer dans Marques de fabrique le portrait social de l’époque à l’enquête policière qui est parfois abracadabrantesque. Mais peu importe, le plaisir de lecture est réel, et dites-vous que la qualité des romans de Cécile Baudin n’a cessé de progresser depuis.

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