Surbooké

Le blog de Laurent Bisault

Quatre jours sans ma mère, Ramsès Kefi, Éditions Philippe Rey

Oct 2, 2025 #Philippe Rey

Hédi son père est venu le chercher il passe ses nuits avec ses potes. Salmane a trente-six ans, il traîne dans un univers de béton et il a devant lui un toit de voiture qui leur sert de comptoir. Amani sa mère a fugué. Elle est partie parce qu’elle en avait besoin, elle a fait savoir qu’elle reviendrait quand elle serait prête. Il s’est forcément passé quelque chose. Une femme ça ne part pas en laissant son homme à la maison. Ça reste même si ça doit se bousiller. Seuls les mâles ont le droit de prendre la tangente. En fouillant l’appartement Salmane trouve le message de sa mère : « Je dois partir vraiment. Mais je reviendrai. Tu comprendras. Je t’aime. À bientôt, fils. ». Salmane pleure au pied de son lit, le malheur lui est tombé dessus. Il s’était jusqu’alors arrêté à la génération précédente des Gammoudi. Ses parents sont passés par un orphelinat d’Afrique du Nord, et ont connu la misère au bled puis en France. Ils ont trouvé la paix en juin 1978 dans un HLM de La Caverne à onze stations de train de la capitale. Avec vue sur la forêt et une grande baignoire. Sa mère faisait des ménages, son père était ouvrier. La cité a depuis bien vieilli, sans pauvreté extrême ni rivalité avec les villes voisines. Hédi est tout aussi bouleversé que son fils. Il vide sa boîte à insultes et part avec Salmane aux nouvelles chez Maria une ancienne amie d’Amani. Mais surtout il ne dit rien de la disparition alors qu’il ne peut pas passer une journée à La Caverne sans claquer cinquante bises. La disparition d’Amani va briser la vie bien réglée du père et du fils. Elle va obliger Salmane à grandir, à le faire sortir de sa bulle protectrice. Lui qui ne faisait presque rien, se contenant de gagner un Smic sans gras dans un fast-food malgré son master d’histoire ancienne, va se bouger.

Il est juste resté depuis des années dans son jus

Ce premier roman de Ramsès Kefi a reçu un accueil très favorable. Quatre jours sans ma mère a eu droit entre autres à France Inter, à La Grande Librairie, il figure dans la première liste du prix Renaudot, ainsi que de celle du Grand prix du roman de l’Académie française, et c’est bien mérité. Cette histoire nous offre des personnages attachants, évoluant dans un environnement a priori difficile, sans jamais tomber dans le misérabilisme. Ramsès Kefi qui a débuté sa carrière de journaliste au Bondy Blog y a probablement mis une partie de son existence. D’origine tunisienne, il a grandi à Carrières-sous-Poissy dans les Yvelines, et il a lui aussi tâté du travail dans un fast-food. On se régale de son ode aux mères de famille dont les maris et les fils ne comprennent l’importance que quand elles disparaissent. Amani n’était pourtant pas exigeante. Elle était ponctuelle, silencieuse et soigneuse dans les open-spaces qu’elle nettoyait. Elle n’en demandait pas beaucoup plus pour son anniversaire : un câlin, une part de flan, un bouquin, et elle était heureuse. Mais même ce service minimum avait été oublié. D’ailleurs cela faisait longtemps que Salmane n’avait plus pris de café avec elle en dehors de la cuisine alors qu’elle le lui demandait. Ce n’est pas que ce Tanguy presque quarantenaire soit méchant. Il est juste resté depuis des années dans son jus, insensible à ceux qui l’entourent. À sa mère et à son pote Archie qu’il côtoie depuis l’école. Ce fils d’un Guadeloupéen a lui aussi « perdu » sa mère qui ne l’a jamais aimé, et pourtant Salmane ne perçoit pas son mal-être. Heureusement les évènements vont ouvrir les yeux de celui qui voulait que rien ne change. À l’image du papier peint de sa chambre couvert de Schtroumpfs depuis son enfance. Salmane va découvrir l’histoire de ses parents et celle de ceux qui l’entourent. Il y a toujours de l’espoir.

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