Merica a abandonné son fils pour donner son lait à un autre, très loin, à Alexandrie. Elle a laissé les siens, Mihec son bébé de trois mois, Ivan son mari, ses parents, et elle est montée à Trieste sur le bateau qui la fait vomir. Elle n’a pas eu le choix, Ivan lui a dit qu’elle devait travailler comme nourrice pour qu’ils payent leur emprunt. D’autres femmes ont embarqué avec elle, Ana qui retourne en Égypte pour être cette fois femme de chambre dans un hôtel, et Vanda seize ans qui sera dame de compagnie ou bonne d’enfant. Ana est repartie parce que son mari prétendait qu’elle puait l’arabe et qu’il ne voulait plus coucher avec elle. Alors qu’Ana lui avait été constamment fidèle pendant son premier séjour égyptien. Ana sait que ça ne sera pas facile pour ses compagnes slovènes. Elle devront se méfier des hommes au risque de finir dans un harem ou de vendre leur corps. Elles devront être prudentes, surtout les plus jeunes, mais elles bénéficieront sur place du soutien des sœurs de la Charité. En attendant elles côtoient dans la plus basse classe du navire des Roumains, des Italiens, des Juifs polonais et des Tsiganes hongrois, qui tous restent au sein de leur petite communauté. Puis apparaît l’Afrique. Ses échoppes remplies de bananes, de dattes, d’oranges, de melons et d’autres fruits inconnus. Ici les foules sont composées d’Égyptiens, de Syriens, de Soudanais, de Nubiens, d’Arméniens, de Turcs et de bien d’autres peuples. Vanda a de la chance. Jugée trop jeune pour s’occuper d’un enfant, elle a été repérée par Hanuma la femme d’un médecin dont elle doit prendre soin. Merica part chez un banquier anglais : Henry Cherington. Sa demeure est fastueuse, la jeune femme sera la mère de lait de Thomas le bébé de la famille. Ana est envoyée à l’hôtel Cécile où elle retrouve sa compatriote Marija Pušpanova. Elle doit y rester deux années pour rembourser l’emprunt de son mari.
Leur billet de retour n’est jamais garanti
Ce premier roman slovène chroniqué sur ce blog est très émouvant. Il nous offre les destins protéiformes de jeunes femmes contraintes de quitter leur pays pour gagner leur vie. Rares sont celles qui ont choisi de migrer vers l’Égypte. Mais elles sont parties car leur excellente réputation leur a ouvert des portes à Alexandrie. Certaines grimperont dans l’échelle sociale, tomberont amoureuses. Beaucoup apprendront le français, l’anglais, l’italien et l’arabe, car les Slovènes sont réputées « ramasser les mots comme une poule affamée le grain ». Ce qui ne les protégera ni des coups ni du viol. Toutes auront des relations compliquées avec leur famille restée au pays. Il leur faudra envoyer de l’argent, oublier les enfants laissés sur place, subir des accusations d’adultère. Elles devront oublier les paysages alpestres et les vignobles dont elles connaissent les cépages. Leur billet de retour n’est jamais garanti car elles risquent d’être rejetées par ceux qu’elles ont si longtemps nourris à distance. Et repartir dans leur village engendre parfois une seconde rupture avec la famille qui les a accueillie, tout aussi douloureuse que celle ressentie en quittant leur pays. De retour en Slovénie elles devront aussi subir les violences des fascistes italiens. Mais pour ces Goriciennes, des femmes originaires de Gorica, l’attrait de la richesse d’Alexandrie issue de l’ouverture du Canal de Suez est trop forte pour y renoncer.