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Le blog de Laurent Bisault

Les lions de Sicile, Stefania Auci, Éditions Albin Michel

Juil 23, 2021 #Albin Michel

Cette île est magnifique, indomptable, insaisissable, mystérieuse. Envahie tout au long de son histoire, par les Grecs, les Arabes, les Normands, les Bourbons d’Espagne. Administrée par les Napolitains, défaite dans ses tentatives d’indépendance, rattachée à l’Italie naissante, mais jamais soumise. Mussolini et les fascistes s’y sont cassé les dents comme l’explique Jean-Pierre Cabanes dans Rapsodie italienne. Quand les Américains ont choisi d’y débarquer, ils ont dû négocier avec le représentant du véritable pouvoir local, le mafieux Lucy Luciano qui résidait dans la prison new-yorkaise de Sing Sing. Pour comprendre la Sicile rien ne vaut la littérature puisque l’île a accouché de merveilleuses histoires. Celle des Beati Paoli de Luigi Natoli. Le Guépard de Giuseppe Tomasi magnifié au cinéma par Visconti. La moitié des livres du Romain Luca Di Fulvio dont beaucoup de personnages quittent la Sicile pour l’Amérique. Et tout l’œuvre de Leonardo Sciascia. Stefania Auci native de Trapani et palermitaine de cœur a ajouté sa pierre à l’édifice avec une saga en trois volumes qui a cartonné en Italie. Mais comme Le gang des rêves de Luca Di Fulvio, Les lions de Sicile est d’abord sorti dans d’autres pays, aux États-Unis et aux Pays-Bas, en Espagne, en Allemagne et en France.

Les lions de Sicile c’est un peu Balzac dont les personnages débarquent pauvres à Palerme

Le roman s’appuie sur une solide base historique qui a demandé à Stefania Auci plusieurs années de recherche. Le tome un couvre la période 1800-1870, celle des premières industries, des filatures de coton, des conserves de thon à l’huile, de l’apparition des chemins de fer, des bateaux à vapeur, de l’exploitation du soufre. C’est l’époque des révolutions inachevées, du choléra qui décime les villes. Les lions de Sicile c’est un peu Balzac dont les personnages débarquent pauvres à Palerme mus par une folle envie de tout renverser. C’est l’accumulation de l’argent érigé en but absolu. C’est l’économie des marchands de Palerme, leurs transactions, les procédés utilisés pour éviter la faillite. C’est le capitalisme des entrepreneurs qui triomphe d’une société féodale décadente. Ce sont les Siciliens qui cherchent à s’affranchir de la domination des marchands anglais. Mais dans la lignée des Beati Paoli, le roman est aussi une très belle histoire épique. Celle des Florio qui quittent leur village calabrais, traversent le détroit de Messine, s’installent dans la capitale sicilienne pour vendre des épices. L’épopée est remplie de courage, de larmes, de joies, d’amours, de trahisons, de haines, de mépris de classe. De folles étreintes sous les porches, de désirs incontrôlables. La réussite de Stefania Auci est de nous proposer plusieurs points de vue. La grande et la petite histoire, la puanteur des rues de Palerme et les palais palermitains, les hommes de peine qui bousculent tout et les nobles siciliens ruinés qui s’accrochent aux traditions parce qu’ils n’ont plus rien.

On utilise les épices pour la cuisine, les parfums, les cosmétiques, les médicaments et les poisons

Alors direction Bagnara en Calabre juste en face du détroit de Messine. En 1799 Ignazio Florio tente de mettre à l’abri du tremblement de terre sa jeune nièce Vittoria. Il vit avec son frère aîné Paolo, sa belle-sœur Giuseppina et leur bébé Vincenzo. Les séismes sont fréquents dans la région. Celui de 1783 n’a laissé que des décombres. Paolo transporte des marchandises entre la Calabre et la Sicile avec son beau-frère Paolo Barbaro. Les dégâts sont tels que Paolo Florio décide de quitter le village. Il veut partir à Palerme où il a trouvé un magasin d’épices à acheter, une putià. Giuseppina hurle son refus parce que la maison de Bagnara est celle qu’elle a amenée en dot et que toute sa famille vit ou est enterrée au village. Mais en Calabre comme ailleurs un mari a le dernier mot. Paolo emmène donc sa famille ainsi qu’Ignazio dans la capitale sicilienne. La ville est magnifique et le commerce des épices, cannelle, poivre, cumin, anis, coriandre, sumac, est en pleine expansion. On les utilise pour la cuisine, les parfums, les cosmétiques, les médicaments et les poisons. Quand Giuseppina découvre leur nouveau logement elle est sous le choc. C’est un bouge de trois pièces à peine plus grandes qu’un débarras. Le magasin d’épices qu’ont acheté Paolo et Ignazio ne vaut pas beaucoup mieux. Pourtant malgré les menaces à peine voilées des concurrents la réussite arrive car les deux frères travaillent sans compter. Ils bousculent les habitudes, comprennent ce que peut leur apporter le port de Palerme, et s’associent avec des négociants anglais. L’avenir est devant eux mais il ne sera jamais sûr.

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