Surbooké

Le blog de Laurent Bisault

Gioconda, Nìkos Kokàntzis, Éditions de l’Aube

Fév 2, 2022 #L'Aube

C’est la brève histoire d’un amour fou à l’adolescence. Brève parce qu’elle se déroule sur à peine deux années, et parce que Nìkos Kokàntzis nous la raconte sur une grosse centaine de pages. C’est une histoire vraie que les Éditions de l’Aube nous présente comme un récit. Celle de la fusion de Nìkos et de Gioconda qui sont voisins depuis leur naissance dans un quartier de Thessalonique. Un lieu pas encore urbanisé dont les maisons sont séparées de terrains vagues où les enfants jouent. Nìkos et Gioconda se les sont appropriés avec leur fratrie. Mais à douze ans, quand Nìkos en a treize, Gioconda est déjà une femme. Elle est belle comme sont beaux tous les membres de sa famille, la grand-mère, les parents et les enfants. Alors les deux adolescents changent de jeux en découvrant que la vie est différente quand ils ne sont plus que tous les deux. L’époque est rude, âpre, périlleuse, la Grèce est occupée par les Allemands. Nìkos tâte de la résistance en distribuant des tracts, en peignant des slogans sur les murs. Pas de quoi déstabiliser l’envahisseur mais il risque sa vie. C’est le temps des queues humiliantes devant les boulangeries dans le froid ou la canicule, de la sous-alimentation, de l’avitaminose. Du demi-pain de glace auquel les familles ont droit chaque semaine. C’est l’époque du café de pois chiches, des vestes taillées dans une vieille flanelle, des livres prêtés. Mais que sont ces manques quand le premier baiser vous entraîne dans le désert à dos de chameau sous un soleil insoutenable, vous fait descendre le Nil blanc parmi les odeurs du soir, et découvrir Samarkand, Kaboul, Bénarès. La suite sera encore plus folle, plus belle encore.

De toute façon personne ne voulait savoir

L’histoire de Nìkos et Gioconda s’écrit dans l’urgence car ils n’ont pas le temps. Gioconda est juive, comme de nombreux Thessaloniciens. Ils constituèrent même la majorité des habitants jusqu’au rattachement de la ville à la Grèce. La fin du récit on la connaît. On place des Étoiles de David sur les maisons et les boutiques. On en coud sur les vêtements. On interdit des quartiers et l’accès aux trams. On réunit tous les Juifs de sexe masculin, hommes, enfants, les malades et même les rabbins Place de la Liberté de huit heures à quatorze heures. Sans aucune raison, juste pour les frapper et les humilier. Plus tard arrivent les camions qui emmènent hommes, femmes et enfants. Nous sommes en 1943, personne ne sait qu’ils ne pourront survivre jusqu’à la libération des camps. De toute façon personne ne veut savoir. Alors la mère de Gioconda confie à celle de Nìkos quelques bijoux qu’elle souhaite transmettre à ses filles à leur retour. Mais qu’elle pourra conserver s’ils ne reviennent pas en Grèce quand tout sera fini. C’est une histoire brève, celle d’un monde disparu avec ses habitants. Un monde dont les maisons sont aujourd’hui en ruine ou remplacées par des immeubles sans âme, sans espaces de jeux pour les enfants. Un monde que Nìkos Kokàntzis a souhaité nous transmettre après l’avoir conservé en lui pendant des années. Parce que quand tous ont disparu il ne reste que les livres. Que son traducteur Michel Volkovitch, son éditeur les Éditions de l’Aube, ainsi qu’Hippolyte Girardot qui me l’a fait découvrir en soient remerciés.

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