Surbooké

Le blog de Laurent Bisault

Pour comprendre le marché de l’électricité il faut se tenir au courant

Oct 30, 2022

C’est un bien essentiel dont nous allons avoir de plus en plus besoin en raison de la décarbonation de l’économie. L’électricité est aussi un poste important de nos dépenses et ça n’est pas près de s’arranger. Longtemps monopole public avec EDF pour étendard, l’électricité ne l’est plus ni pour la production et encore moins pour la distribution. L’ouverture du marché de l’électricité, rendue possible par l’interconnexion des réseaux européens, devait selon les tenants du libéralisme nous amener l’efficacité et les baisses de coûts. Or c’est le contraire qui s’est produit. Non seulement la France n’est plus autosuffisante mais en plus la mise en concurrence d’EDF s’est révélée incapable de freiner les hausses de prix. Elle s’est surtout traduite par un formidable moyen pour les opérateurs alternatifs de gagner de l’argent aux dépens de l’opérateur public. C’est-à-dire de pomper une partie de la richesse nationale alors que la plupart de ces sociétés privées ne produisent rien et ne font que spéculer.

Des activités qui requièrent de tels investissements qu’il est illusoire d’envisager la présence d’un second opérateur

À la base des profonds changements du marché de l’électricité il y a la volonté de la Commission européenne d’ouvrir l’économie à la concurrence pour construire un marché unique. Cela a touché toutes les activités, y compris les plus capitalistiques, télécommunications, ferroviaire, énergie. Or si cela a en partie porté ses fruits pour les télécoms en ouvrant des portes aux nouveautés technologiques, il en a été autrement pour le ferroviaire et l’énergie. Pour une raison simple : ce sont ce qu’on appelle des « monopoles naturels ». Des activités qui requièrent de tels investissements qu’il est illusoire d’envisager la présence d’un second opérateur. C’est d’ailleurs ce qui avait motivé la création d’EDF en 1946 en nationalisant de multiples opérateurs privés. Seule une société d’État était, selon le Conseil national de la Résistance, à même de fournir l’électricité nécessaire à la reconstruction du pays. EDF se retrouvait ainsi en situation de quasi-monopole puisque la SNCF et les Charbonnages de France conservaient le droit de produire de l’électricité pour elles-mêmes.

On a adapté la concurrence pour qu’elles rentrent dans le game

Mais à la fin des années quatre-vingt-dix la Commission européenne s’y est opposée. Le monopole c’était mal et notre bonheur allait venir des marchés. L’ouverture à la concurrence était toutefois partielle car personne n’imaginait la création de réseaux alternatifs à celui qu’utilisait EDF. L’ouverture à la concurrence s’est opérée progressivement avec le changement du statut juridique d’EDF, la vente d’une partie de son capital, et enfin la possibilité donnée en 2007 aux particuliers d’acheter leur électricité à des opérateurs privés. Mais si des entreprises étaient d’accord pour s’y coller, elles ont vite compris qu’elles n’étaient pas de taille pour lutter contre EDF. Car l’opérateur public bénéficiait d’un avantage de taille : des centrales nucléaires payées par la puissance publique et déjà amorties. Alors on a adapté la concurrence pour qu’elles rentrent dans le game. La loi Nome de 2010 a créé le dispositif Arenh, l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique, qui contraignait EDF à vendre une partie de sa production à ses concurrents. La concurrence c’est bien, mais quand elle peut être financée par la puissance publique, c’est encore mieux. Dès lors les opérateurs alternatifs qui avaient pour but de piquer des clients à EDF, allaient passer leur temps à arbitrer entre leurs deux fournisseurs : EDF et le marché.

Le dispositif de fixation des prix et des volumes de l’Arenh est pour le moins opaque

La Commission de régulation de l’électricité (CRE), une structure administrative « indépendante » est chargée de vérifier le respect des règles. Portée par des stratégies commerciales agressives les opérateurs alternatifs conquièrent rapidement des parts de marché : 29 % fin 2017 contre 38 % pour EDF au tarif réglementé, et 33 % pour EDF et quelques entreprises locales de distribution en offres de marché. Pour EDF, qui perd client sur client, les prix et les volumes de l’Arenh sont essentiels. Si les prix sont trop bas elle ne gagne plus d’argent, or elle en a besoin pour maintenir à flot ses centrales nucléaires. Si on la contraint à céder trop d’électricité, elle ne peut plus alimenter ses clients alors que l’opérateur est déjà incapable de faire tourner une grande partie de ses centrales. Le dispositif de fixation des prix et des volumes de l’Arenh est pour le moins opaque. La loi prévoit que les prix de livraison d’EDF à ses concurrents doivent lui permettre de couvrir ses coûts y compris à long terme. Concernant les centrales nucléaires, compte tenu de leur durée de vie éternellement prolongée, et de l’incertitude sur le prix du démantèlement, il peut y avoir débat … C’est la Cree qui fixe le prix de l’électricité vendue dans le cadre de l’Arenh, il est aujourd’hui de 42 euros le MWH. La Cree est indépendante mais trois de ses six membres sont nommés par le gouvernement. Quant aux quantités liées à l’Arenh, c’est le gouvernement qui tranche. Face à la hausse des prix de marché il décide en 2022 de les passer de 100 TWH à 120 TWH. Coût estimé pour EDF : près de 8 milliards d’euros. Broutilles.

Ils ne produisent le plus souvent rien et ne sont que de purs traders.

Avant de regarder comment cela s’est traduit sur la rentabilité des opérateurs alternatifs, passons un peu de temps sur eux. Dans l’immense majorité des cas ce sont des fournisseurs et non des producteurs. Car aujourd’hui l’électricité produite en France provient à 95 % d’EDF et d’Engie. Il y en a environ 80 % pour EDF qui s’appuie d’abord sur son parc nucléaire, et 15 % pour Engie le successeur de Gaz de France et ses centrales à gaz. Et les autres fournisseurs ? Il y en avait une quarantaine recensés sur le site du Médiateur de l’énergie en août 2022, soit deux fois moins qu’un an avant. Les plus nombreux ne font qu’acheter et revendre de l’électricité. Rarement au jour le jour ce qui les exposerait trop aux aléas du marché. Ils tentent donc de se couvrir en achetant à terme, c’est-à-dire en se procurant un produit qui sera mis sur le réseau dans un mois, un an, ou plus, à un prix fixé au moment de la signature du contrat. Ces fournisseurs n’ont donc en rien apporté une solution aux besoins en électricité de la France, qui sont apparus suite à l’incapacité d’EDF de faire fonctionner ses centrales nucléaires et d’en construire de nouvelles. La France qui était de longue date un exportateur net d’électricité doit désormais en importer. Quant à l’action des opérateurs alternatifs sur les prix, elle a dans un premier temps permis de les faire baisser. Mais elle contribue désormais à l’envolée des cours.

Les prix sur les marchés à terme dépendent des anticipations des traders

L’augmentation des prix de l’électricité est une des conséquences de la guerre en Ukraine qui a fait monter les prix du gaz. Car en Europe le prix de l’électricité est celui de la centrale la plus chère qui est toujours une centrale à gaz. Certains contrats à terme ont ainsi été conclus à plus de 1 300 euros le MWH. Pour rappel celui de l’Arenh, prix fixe, est de 42 euros et de 46 euros pour les 20 TWH supplémentaires alloués aux opérateurs alternatifs. Pourquoi un tel écart ? Parce que les prix sur les marchés à terme dépendent des anticipations des traders. Et certains pensent que cet hiver les prix de marché ne seront plus déterminés par ceux de la dernière centrale appelée. Mais par le « prix de l’effacement de la demande » c’est-à-dire le prix que l’on devra payer aux industriels pour qu’ils arrêtent leurs productions. Il est de 1 000 à 1 500 euros le MWH en France où on pense que des coupures seront effectuées. Il est plus bas en Allemagne qui devrait faire appel à des centrales à charbon pour ne pas couper le courant chez les industriels. Nouveauté cette année chez nous, la mise en place d’un bouclier tarifaire qui permet de limiter la hausse des tarifs réglementés d’EDF. Il est payé par l’État à EDF et aux opérateurs alternatifs pour chaque MWH qu’ils livrent à leurs clients. Que ce soit par l’intermédiaire du tarif réglementé chez EDF, aujourd’hui proche de 50 euros le MWH, ou d’un autre tarif chez les alternatifs.

Si les clients acceptent les nouveaux prix c’est bingo pour les alternatifs

Malgré cela les prix non réglementés ont explosé. Pourquoi ? Parce que les opérateurs alternatifs avaient tout intérêt à le faire en revendant très cher l’électricité qu’ils avaient achetée précédemment à des tarifs avantageux. En cas de refus de leurs clients, il leur suffisait de les inciter à aller chez EDF pour qu’ils bénéficient du tarif réglementé. Les opérateurs alternatifs ont alors pu revendre très cher sur le marché l’électricité qu’ils avaient en trop. Et si leurs clients acceptaient les nouveaux prix c’était bingo pour eux. Du côté d’EDF ça a été beaucoup moins drôle. Devant l’afflux de clients l’opérateur historique a dû se tourner vers les marchés pour se procurer l’électricité qu’il ne pouvait fournir. Et en période de hausse des cours ça ne pouvait pas être une bonne affaire. Ajoutons qu’en cas de baisse des prix, par exemple pendant une épidémie, les alternatifs sont également gagnants. Ils délaissent l’Arenh et s’approvisionnent uniquement sur les marchés pour se positionner en dessous des tarifs d’EDF. Dans ce cas EDF se retrouve excédentaire et doit vendre son surplus à bas prix sur les marché. À en croire l’économie mainstream, autrement dit l’économie dominante, nous avons tout à gagner de la concurrence. Mais il n’y a pas plus menteur qu’un économiste.

Merci à @Heu7reka qui concocte des vidéos fabuleuses

Abonnez-vous pour être averti des nouvelles chroniques !

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *