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Le blog de Laurent Bisault

La bataille de la Sécu, Nicolas Da Silva, Éditions La Fabrique

Nov 6, 2022 #La Fabrique

« Alors que le régime général de sécurité sociale a été construit en 1946 dans un pays ruiné par la guerre, pourquoi serions-nous incapables aujourd’hui de l’étendre dans un pays qui n’a jamais été aussi riche ? ». C’est à cette question que tente de répondre Nicolas Da Silva, professeur d’économie à l’université Sorbonne Paris Nord, en s’appuyant sur le temps long. Pas en recourant à des théories ni à des modèles abscons, en nous racontant l’histoire de la protection sociale en France. Il s’attarde nécessairement sur la création de la Sécu en 1946, en détaillant le débat auquel elle donna lieu entre une gouvernance exercée par les administrés et l’étatisation. Simple question technique ? Pas du tout, ce choix était déterminant pour l’avenir de la sécu et le reste aujourd’hui. Mais la Sécu de 1946 n’est ni le début ni la fin de l’histoire. Elle arrive dans des circonstances particulières, à un moment où forces syndicales et politiques sont en capacité de l’imposer. Elle n’a été possible que par l’incroyable travail effectué par la CGT pour créer les caisses locales, régionales et nationale, et pour prélever les cotisations dans une France délabrée. Elle marque surtout la victoire, toute provisoire, d’une sécurité sociale auto-administrée par des représentants ouvriers, qui ont arraché trois quarts des mandats contre 25 % pour les patrons. Cette nouvelle Sécu s’inscrit dans plus d’un siècle de luttes. Celles des premiers mutualistes qui virent leur outil dévier. La sécurité sociale de 1946 sera rapidement grignotée, remise en cause, au profit d’une protection sociale aux mains de l’État. Dès l’éclatement de la CGT et la création de Force ouvrière au début de la guerre froide, réforme après réforme, jusqu’aux ordonnances Juppé de 1995-1996 qui signèrent la défaite des pionniers de 1946.

Nicolas Da Silva en appelle au respect de trois conditions

Parce que les politiques de santé montrent aujourd’hui toutes leurs limites avec l’incapacité de l’hôpital à accueillir les patients, les effroyables conditions de travail des soignants et les déserts médicaux, il convient de réouvrir le débat. De nombreuses pistes sont proposées dans La bataille de la Sécu pour que nous puissions à nouveau bénéficier d’une couverture sociale à l’échelle de nos besoins. Il s’agit par exemple de refuser les complémentaires santé et leurs frais de gestion au profit de la Sécu. De s’intéresser aux financements que nous accordons à l’industrie pharmaceutique, de refuser le développement sans fin des cliniques privées. Pour qu’une nouvelle Sécu évolue dans le bon sens, Nicolas Da Silva en appelle au respect de trois conditions. La justice du système de santé, qui amène à rechercher l’universalité et à ne pas à cibler les interventions. Cela permettra de construire un système en fonction des besoins, alors que la seule prise en charge des plus malades et des plus pauvres nécessite de faire appel aux complémentaires santé pour les autres patients. Deuxième condition ne pas régenter la production publique comme on le fit en 1946 au contraire des choix ultérieurs du numerus closus, de la fermeture des lits et d’un management agressif contre les soignants. Troisième condition stopper le développement du capitalisme privé financé par l’État. Mais avant de passer aux actes, encore faut-il comprendre comment s’est construite la protection sociale française. Et c’est tout le mérite du travail de Nicolas Da Silva.

Très peu développé au XIXe siècle l’État social est le fruit de la Première guerre mondiale


Le récit débute à la révolution de 1789 quand on s’interrogea sur la création d’une protection sociale. La question était apparue avec le passage du féodalisme au capitalisme et la disparition des solidarités exercées par l’Église. La réponse fut négative, ni l’État ni le capital ne voulaient s’en emparer. Il fallait pourtant prendre en charge les anciens paysans privés de leur terre, coupés des solidarités familiales et villageoises. La réponse fut de confier les hôpitaux, habituellement gérés par l’Église, aux communes. On se retrouva ainsi au début du XIXe siècle avec une sphère marchande de la santé qui peinait à se développer faute de clients solvables, et des hôpitaux paupérisés. C’est pourquoi émergèrent les sociétés de secours mutuel qui pratiquaient l’entraide au profit des ouvriers. L’État s’empressa de les contrôler en leur accordant des facilités financières pour détourner les ouvriers de la contestation. Ces sociétés allaient se développer, se transformer en institutions de notables, jusqu’à faire le mauvais choix pendant l’Occupation en soutenant la Collaboration contre la Résistance. Les mutuelles étaient à ce moment des acteurs essentiels de l’assurance santé avec une vision sélective : tout le monde ne pouvait adhérer et elles mettaient en place des dispositifs pour réduire le coût des soins. Très peu développé au XIXe siècle l’État social est le fruit de la Première guerre mondiale. Son intervention dans le domaine social est toutefois antérieure avec la promulgation de mesures natalistes pour préparer la revanche avec la Prusse. Mais la décision la plus importante qui accentua le rôle de l’État dans l’économie fut l’instauration d’un impôt sur le revenu. Il était indispensable pour financer la Première guerre mondiale. Il le sera tout autant après pour payer l’assistance aux infirmes, aux veuves et pour financer la reconstruction. Les lois d’assurances sociales de 1928-1930 sont issues de ces processus. Elles ne furent pas prises parce que le pays allait mieux mais parce que l’État ne pouvait plus faire autrement. Avec ces assurances sociales on obligea les salariés et les employeurs à cotiser pour payer les soins et financer un système de retraite par capitalisation..

La nouveauté est aussi que la Sécu n’est pas nationalisée mais auto-administrée

La création de la Sécu en 1946 ne sort donc pas de nulle part. Elle intègre ce qui avait existé avant la guerre, y compris la brève tentative de la Commune de Paris. Car déjà en 1871 on avait imaginé une autre protection sociale, contre l’État, le capital et les traditions paternalistes. Une protection qui se voulait démocratique, auto-organisée. On sait qu’elle fut de courte durée, noyée dans le sang de la répression avec de 5 700 à 25 000 morts selon les chiffrages. Mais son ambition avait marqué les esprits du mouvement ouvrier. À la Libération l’heure est à la création d’un nouveau régime de sécurité sociale avec d’immenses oppositions sur son contenu et son organisation. La proposition d’un régime unique sur la santé, la retraite, les accidents du travail et les allocations familiales, avec une caisse unique par unité géographique, est portée par un haut fonctionnaire Pierre Laroque. Avec l’appui de la CGT elle est votée au Parlement. Le régime général n’est toutefois pas universel puisque sont créées des dispositions spécifiques aux fonctionnaires pour la santé et aux cadres pour la retraite. À peine en place le nouveau régime déclenche un flot de critiques : trop gros, déséquilibré, encourage la fraude, défavorise les entreprises face à la concurrence, inflationniste. Soit à peu près ce que l’on trouve aujourd’hui dans les pages saumon du Figaro. Une série d’ordonnances vont peu à remettre en cause l’organisation de 1946. Elles séparent les risques et empêchent ainsi la solidarité entre les caisses. Elles instaurent le paritarisme salariés-patronat. Le changement le plus important intervient avec le plan Juppé en 1995-1996 qui crée un budget de la sécurité sociale, et fait passer l’institution d’une logique de réponse aux besoins à celle d’une adaptation aux contraintes budgétaires. Dès lors les dispositifs pour faire baisser la dépense se multiplient : hausse du ticket modérateur, forfait hospitalier, contributions non remboursables, autorisations des dépassements d’honoraires, numerus closus, fermetures de lits à l’hôpital.

Comme l’a expliqué Bernard Maris parfois la concurrence coûte cher

Et pourtant on ne cesse de nous parler du trou de la Sécu. Or les déficits annuels évoqués pour réduire les prestations pourraient être évités. Avant de l’expliciter rappelons que le résultat comptable de la Sécu traduit d’abord l’état de la conjoncture. C’est l’arrêt de l’économie en 2008-2009 qui a plombé les comptes. En année « normale » le recul du salariat et la non compensation des exonérations de cotisations limitent grandement les recettes. Le financement de la dette par les marchés financiers, alors qu’il donnait lieu précédemment à des avances de l’État, constitue des charges indues car il est plus coûteux que si l’État empruntait lui-même. Pour aller plus loin il faut remettre en cause les complémentaires santé, mutuelles et sociétés d’assurance qui sont infiniment moins efficaces que la sécurité sociale. En 2018 les frais de gestion des mutuelles et de la sécurité sociale sont comparables, un peu plus de 7 milliards d’euros. Mais les mutuelles distribuent 30 milliards de prestations et la Sécu 207. Comme l’a expliqué Bernard Maris parfois la concurrence coûte cher. Tout aussi grave, votre financement de la Sécu augmente avec vos ressources. C’est le contraire pour les complémentaires santé. Si la nécessité de mettre fin à ces gabegies paraît évidente, il faudra beaucoup de courage pour passer à l’acte. Pour passer outre à l’opposition des sociétés d’assurance, des mutuelles, et des médecins libéraux qui craignent la disparition du remboursement des dépassements tarifaires. Il faudra aussi s’attaquer aux élus qui ont parfois gagné beaucoup d’argent avec le mouvement mutualiste. Souvenez-vous de DSK, de Jean-Christophe Cambadélis et de Richard Ferrand. Quant à la crainte de perdre des entités qui se prétendent démocratiques, dites-vous que la concentration des mutuelles les a éloignées de leurs adhérents. Et que leurs pratiques n’ont plus rien de démocratiques. La lecture de La nouvelle alternative de Philippe Frémeaux vous en convaincra.

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