Surbooké

Le blog de Laurent Bisault

La note américaine, David Grann, Éditions Globe

Oct 22, 2023 #Globe

Mai 1921, communauté Osage de Gray Horse dans l’Oklahoma. Anna Brown trente-quatre ans a disparu depuis trois jours. Sa sœur Mollie Burkhart plus jeune d’une année s’inquiète. Les Osages sont une tribu indienne déplacée au début des années 1870 du Kansas vers une réserve rocailleuse dont on découvrit par la suite qu’elle reposait sur le plus grand gisement pétrolier états-unien. Pour l’exploiter les entrepreneurs durent louer les terres ce qui fit des Osages le peuple le plus riche du monde. Certaines familles indiennes embauchèrent des serviteurs blancs ce qui permit à Mollie d’épouser Ernest Burkhart son chauffeur en livrée. On retrouva Anna Brown une semaine après sa disparition. Elle était morte, son corps était boursouflé et décomposé. On découvrit au même moment un second cadavre dans le même état. C’était celui d’un autre Osage, Charles Whitehorn qui avait disparu une semaine avant Anna. Les deux jeunes Indiens avaient été abattus de deux balles entre les yeux. C’est ce que montra l’autopsie qui tenait pourtant davantage de la boucherie que d’un examen médico-légal. L’enquête fut confiée à William Hale, l’oncle d’Enest Burkhart, qui était le shérif adjoint de la réserve à Halifax, et au procureur du comté. Peu après Lizzie la mère d’Anna et de Mollie mourut et on soupçonna un empoisonnement. Il y eut d’autres empoisonnements et aussi des assassinats avec des bombes. La justice ne passa pas ce qui ne surprit pas grand monde tant cette période de prohibition de l’alcool se caractérisait par un haut niveau de corruption. Fin 1925 Mollie Burkhart, qui pourtant ne sortait plus de chez elle tant elle avait peur d’être assassinée, faillit mourir de son diabète. Les médecins qui la suivaient avaient fait ce qu’il fallait avec l’insuline pour qu’elle décède. Au total on se rapprochait alors de deux douzaines de meurtres.

Parce qu’ils étaient Indiens la presse organisa leur détestation

C’est une page méconnue de l’histoire des Amérindiens que nous livre l’écrivain David Grann sous la forme d’une enquête particulièrement fouillée. C’est l’histoire d’une communauté qui avait échappé au destin des Cherokees dont les terres avaient été achetées par le gouvernement américain puis cédées à qui s’en emparerait. Il s’en était suivi une « course à la propriété comme le monde n’en avait jamais connu ». Rien de tout cela pour les Osages qui avaient obtenu que leurs parcelles ne puissent se revendre qu’entre les membres de la tribu. C’est ce qui les sauva quand on découvrit du pétrole sous leurs terres, mais ne les protégea ni du racisme ni des stratégies de contournement imaginées pour les dépouiller. Parce qu’ils étaient indiens la presse organisa leur détestation en racontant que leurs richesses les avaient amenés à jeter des pianos sur les pelouses et à changer de voiture après une crevaison. Mais elle se gardait bien de dire qu’un magnat du pétrole s’était au même moment fait construire un manoir de cinquante-cinq pièces avec douze salles de bains et un ascenseur revêtu de peaux de bison. Ce qu’on ne disait pas non plus c’est qu’il y avait une grande différence entre l’Américain moyen et les Osages qui ne pouvaient disposer de leur argent selon leur gré depuis qu’un arrêté fédéral leur avait imposé des curateurs. D’où le développement d’un « Indian Business » qui consistait à vendre très cher aux Osages des produits et des services qui ne coûtaient rien.

La clé de l’histoire était qu’on ne pouvait racheter le sol gorgé de pétrole aux Osages

L’enquête fut reprise par le Bureau of Investigation (BOI) qui deviendra plus tard le FBI. À sa tête venait d’être nommé un homme de vingt-neuf ans, J. Edgar Hoover qui envoya en pays Osage l’enquêteur spécial Tom White. Ce fut long, pénible, White dut faire le tri des multiples faux témoignages, il s’accrocha et aboutit. La clé de l’histoire était qu’on ne pouvait racheter le sol gorgé de pétrole aux Osages mais qu’on pouvait en hériter. Il était donc rationnel d’éliminer les membres d’une famille pour concentrer la propriété foncière entre les mains d’une seule personne, pour peu qu’on en soit assez proche pour en bénéficier. J. Edgar Hoover s’attribua une grande part du mérite de l’élucidation des crimes car grand était son appétit de pouvoir. C’est pourtant Tom White qui fut la pièce maîtresse de l’enquête. Elle déboucha sur deux condamnations à perpétuité pour des crimes passibles de la peine de mort car aucun jury blanc n’aurait osé la voter contre des hommes de leur race. On découvrit également en recherchant les coupables que les meurtres d’Osages avaient été monnaie courante depuis le début du siècle avec un taux de mortalité au sein de la tribu deux fois supérieur à celui des Blancs.

La note américaine a été porté au cinéma par Martin Scorsese

Abonnez-vous pour être averti des nouvelles chroniques !

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *