« Tous les jours, elle s’échappe et disparaît. ». Arlette fuit la maison de la rue du Miel, ses deux sœurs et son frère. Elle marche trois, quatre heures jusqu’à la mer laissant derrière elle l’agitation de Tunis. Toute la nuit Albert Lacrouts son père la cherche en vain parce que personne ne la voit jamais partir. Il travaille pour l’armée et renouvelle tous les trois mois son engagement pour faire vivre correctement sa famille. Les denrées sont pourtant encore rares dans le Protectorat français après le départ des Allemands. Albert doit aussi faire face aux commérages des voisins qui prétendent qu’il ne tient pas son foyer. Alors il attache Arlette à un figuier, et quand la petite fille âgée de douze ans hurle personne ne vient la libérer. Pas même sa mère Marcelle. Le 9 mai 1945 Albert se tue sur la route au guidon de sa moto, une Indian rouge achetée vingt ans auparavant à un Arabe de la Médina. Il se rendait au magasin de pièces de rechange pour récupérer des bougies destinées à un blindé. Quand les voisins rappliquent les bras chargés de marmites de boulettes et de makrouds, personne ne fait attention à Arlette encore ligotée à son arbre. Quelques mois après Marcelle vient la voir la nuit et lui dit : « Tu as fini par tuer ton père, Arlette, tu es contente de toi ? ».
Olivia Elkaim est partie à la recherche de sa grand-mère tunisienne
Arlette c’est la grand-mère maternelle chez qui Olivia Elkaim passait quelques jours voire deux mois de vacances quand elle était plus jeune. C’était la seule concession de son père à sa belle famille. Cela lui coûtait dix heures de route dans sa Fiat Panda de la banlieue parisienne au quartier de L’Estacle à Marseille. La petite zitouna écoutait alors Mamie raconter comment à Tunis elle tuait des couleuvres d’un jet de pierres, avant de les faire sécher au soleil et de les placer sous les oreillers de ses sœurs. Plus tard Arlette écrira à Olivia devenue adulte « Cesse de t’inquiéter de tout et pense à faire la fête ». Arlette est morte en février 2009. En refusant l’héritage ses deux filles Rosie et Lola, la mère et la tante d’Olivia, ont brisé la branche qui les rattachait à Arlette. Et aussi celle qui reliait les fils d’Olivia à leur histoire familiale tunisienne. C’est pourquoi Olivia Elkaim est partie à la recherche de sa grand-mère maternelle comme elle l’avait fait pour les parents de son père dans Le tailleur de Relizane. Elle a donc troqué dans son nouveau livre ses racines juives d’Algérie contre ses origines catholiques de Tunisie. Mais ce qui différencie fondamentalement ses deux ascendances c’est la personnalité d’Arlette. Autant les deux Sépharades Marcel et Viviane étaient discrets, autant on ne pouvait pas manquer Arlette. Elle était brillante à l’école au point que son institutrice tenta en vain de convaincre Marcelle que sa fille pouvait devenir professeure, avocate ou médecin. Elle était si belle que les hommes la zieutaient en la croisant. Il fallait la voir avancer vers un bar où elle sortait un miroir de poche et un tube de rouge. Elle finit par payer sa quête de liberté par des comportements addictifs mais au moins pouvait-on dire à son sujet qu’elle avait vécu. Dans la foultitude de prix littéraires, bien au-delà du Goncourt, il ne me semble pas avoir vu passer Fille de Tunis parmi les sélectionnés. Pas même pour le prix Interallié puisque Olivia Elkaim est aussi journaliste. Que faut-il donc aux jurés pour être émus ?
Qu’en dit Bibliosurf ?
https://www.bibliosurf.com/Fille-de-Tunis.html
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Je suis Jeanne Hébuterne, Olivia Elkaim, Éditions Stock
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« Merci beaucoup pour Arlette !!! 🙏 » Olivia Elkaim sur X