Il est des livres qui vous apparaissent comme une évidence dès les premières pages tant elles vous touchent. Ce qu’il faut de nuit en fait partie bien que ce soit le premier roman de Laurent Petitmangin, qui toutefois écrit depuis une dizaine d’années tout en travaillant à Air France. Ce qu’il faut de nuit aborde un thème rarement exploité : les rapports d’un père et de ses deux fils. C’est une très belle histoire, infiniment touchante, très dure aussi, qui prend ses racines dans la Lorraine ouvrière où a longtemps vécu l’auteur. Elle fait penser au livre de Nicolas Mathieu Leurs enfants après eux, même si Petitmangin nous livre en priorité la version du père et non celle des enfants. Le rapprochement entre les deux auteurs vaut aussi pour la qualité de leur livre, ce qui n’est pas peut-dire, ainsi que par l’enracinement social de leur récit. Ce qu’il faut de nuit narre la vie d’un père et de ses deux enfants dans une histoire écrite à la première personne. Il les élève seul depuis la mort de sa femme décédée d’un cancer. Leur histoire est difficile, mais la petite communauté est cimentée par le souvenir de la mère, la complicité des garçons et par le football. Le père et Fus l’aîné en ont pourtant bavé, d’abord en assistant à la fin de la moman et en se heurtant aux difficultés de la vie quotidienne auxquelles ils n’étaient pas préparés. Cela se manifeste par le décrochage de Fus au collège alors qu’il s’en sortait précédemment. Heureusement les résultats scolaires du cadet Gillou sont bons.
Il y a de moins en moins de monde aux réunions de sa section depuis qu’on n’y sert plus l’apéro
Fus est surnommé ainsi depuis l’âge de ses trois ans en référence au foot car on dit Fus pour Fußball. Alors son père a-t-il pris l’habitude de le réveiller le dimanche matin à sept heures pour l’emmener au match. Ils discutent aussi des résultats du FC Metz le club qu’ils supportent bien que la famille habite à Nancy. Certes le FC Metz ne sait pas garder ses bons joueurs si l’on excepte Renaud Cohade le divin chauve, mais c’est un peu la vie de la Lorraine une région en pleine décrépitude économique. Pour Gillou cela a été sans doute plus facile car on lui a épargné l’agonie de sa mère en raison de son âge. Gillou bénéficie aussi de la protection de son frère qui l’appelle affectueusement Gros. Le père continue sa vie d’ouvrier qui intervient sur les caténaires de la SNCF ainsi que son engagement politique au sein de sa section. Sa vie à gauche est ancienne, ce qui ne l’empêche pas de constater qu’il y a de moins en moins de monde aux réunions de sa section depuis qu’on n’y sert plus l’apéro. Et ce n’est pas la fermeture des usines ni les élections toutes perdues depuis vingt ans qui vont les remobiliser. Sauf peut-être le jeune Jérémy qui a le sens de la formule quand il rédige un tract. Le pavillon n’est pas complètement terminé mais ils s’en sortent jusqu’au jour où on raconte au père que Fus tracte avec ceux du FN. Et là tout s’arrête pour le père qui s’estime trahi par son fils. On referme le livre déstabilisé, essoré, par ce qui se passe ensuite mais conscient d’avoir lu un grand roman.