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Le blog de Laurent Bisault

La réparation du monde, Slobodan Šnajder, Éditions Liana Lévi

Mai 3, 2021 #Liana Levi

Le grand roman de la Mitteleuropa. C’est ce que l’éditrice Liana Levi a fait figurer sur la couverture de La réparation du monde. Un livre terrifiant et instructif qui nous fait voyager dans les soutes d’un soldat allemand engagé de force dans les Waffen-SS et qui se retrouve en Pologne pendant la seconde guerre mondiale. On pense nécessairement aux Bienveillantes de Jonathan Littell dont le personnage principal traversait le conflit avec un détachement qui en a choqué quelques-uns. C’est probablement moins réussi, mais Littell a mis la barre tellement haut. Certains passage de La réparation du monde sont peut-être un peu longs mais au total on se souviendra du livre de Slobodan Šnajder. Son roman est construit sur la légende du joueur de flûte de Hamelin qui emmena les enfants hors de leur ville au son de son instrument. Mais ici ce sont les peuples, en l’occurrence les Allemands, qui traversent le continent à l’appel de leurs dirigeants. Ils le font à la fin du XIXe siècle pour fuir la pauvreté, pendant la seconde guerre mondiale au sein des armées nazies, et à la fin du conflit pour regagner la mère patrie. Slobodan Šnajder nous décrit l’éternelle recomposition de la Mitteleuropa, une notion imprécise en vogue en Allemagne à partir de 1860, qui renvoie à la volonté d’expansion des dirigeants allemands pour trouver de nouveaux débouchés. La Mitteleuropa était constituée de tous les pays où étaient installés des Allemands, à l’est jusqu’à la Volga et au sud dans les Carpates. Des territoires que les Nazis ne manquèrent pas de revendiquer. La Mitteleuropa c’était plus généralement un ensemble de pays dont les frontières ont été déplacées en fonction des conflits, et où les peuples ont fait preuve d’une remarquable constance pour se massacrer. Découvrir les romans de la Mitteleuropa nous ouvre de nouvelles portes car rares en sont les auteurs connus en dehors de ceux de langue allemande. Kafka bien sûr et les Autrichiens tels Stefan Zweig ou Joseph Roth. Pour les lecteurs de ce blog on peut ajouter le Hongrois Szekely et son Enfant du Danube. Mais du côté des Carpates quels écrivains ? Ivo Andrić le Bosnien prix Nobel de littérature quand même, Kadaré l’Albanais à qui on l’a souvent promis et qui ne le décrochera sans doute jamais, et pas beaucoup d’autres. Croate, Slobodan Šnajder fait partie de ces auteurs ignorés en France.

Les Juifs, plus petits dénominateurs communs en Europe centrale, toujours disponibles pour un pogrom quand le besoin s’en fait sentir

Le roman s’étale sur deux siècles. Il débute en 1770 quand Georges Kempf l’ancêtre du narrateur quitte la Bavière pour la Transylvanie où la terre est dit-on grasse et fertile. Il a été convaincu comme d’autres miséreux par l’impératrice Marie-Thérèse d’aller peupler ce territoire de l’empire austro-hongrois récemment débarrassé des Turcs. Pour ce faire les recruteurs ne reculaient devant rien. Ils promettaient qu’une semaine après avoir craché dans la terre de ce pays magique il n’y avait plus qu’à récolter. Sur le radeau qui transportait les voyageurs, le jeune Kempf survécut aux récifs du Danube et débarqua à Wolkowar aujourd’hui Vukovar ville croate. Malgré les loups et les Valaques, les colons allemands s’installèrent mais encore leur fallait-il des femmes. Les prostituées ça n’a qu’un temps et puis ça n’est pas fait pour procréer. Heureusement l’Allemagne finit par leur envoyer des filles à marier ce qui permit aux Kempf de s’établir aux bords de du Danube. En 1919 leurs descendants ont un fils qu’ils prénomment Georg. Ils vivent désormais à  Nuštar en Slavonie dans le royaume de Serbie entre Serbes, Croates, Hongrois et Juifs. Les Juifs, plus petits dénominateurs communs en Europe centrale, toujours disponibles pour un pogrom quand le besoin s’en fait sentir. Et à défaut, il y avait aussi les Tsiganes. En 1938 de nombreux Allemands répondent à l’appel du Führer et quittent la ville en chantant sans savoir qu’ils vont faire partie des Waffen-SS. Ceux qui restent sont désormais des Volksdeutsche pour le Reich, c’est-à-dire des Allemands de l’extérieur. La guerre et la victoire nazie réveille le nationalisme des Allemands de Slavonie. Ils commencent à dire nous alors que ce terme était jusqu’alors réservé à la famille. Les descendants des Bavarois ont pourtant adopté des prénoms Croates. Georg est désormais Djuka et son meilleur ami Franz Franjo. Parce que les Allemands se sont assimilés, Georg n’aurait pas pu identifier tous ses compatriotes de Nuštar. Au printemps 1943 il est réquisitionné et envoyé dans la division SS Galien. Après la bataille de Stalingrad le Reich a besoin de remplumer ses armées. Il y côtoie plus d’Ukrainiens que d’Allemands et de Volksdeutsche, des Roumains et des Hongrois. Après avoir œuvré sans beaucoup d’enthousiasme dans l’armée du Reich, Georg déserte et rejoint les maquisards soviéto-polonais. On peut le dire car l’intrigue est détaillée dès les premières pages du roman. Il revient dans son pays qui est désormais la Yougoslavie de Tito. En son absence, les Oustachis croates ont fait preuve d’un réel savoir-faire pour distiller l’horreur en multipliant les camps de concentration. Pour les femmes mieux valait ne pas être serbes et encore moins juives, car cela donnait droit à un coupe-fil pour le viol. Certains ont pu croire que les horreurs allaient se dissoudre dans le communisme de Tito. L’histoire a montré que non.

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