Surbooké

Le blog de Laurent Bisault

Libération, Sándor Márai, Éditions Albin Michel

Mai 17, 2021 #Albin Michel

Le siège de Budapest, qui sur les deux premiers mois de 1945 fit presque autant de morts que ceux de Berlin et de Stalingrad, nous donne l’occasion de découvrir un des plus grands écrivains hongrois. Plus connu comme auteur des Braises, Sándor Márai a rédigé Libération en trois mois juste après la chute de la ville. En bon journaliste qu’il était il en fait un quasi-reportage écrit dans une très belle langue. La distance qu’il met installe peu à peu l’horreur dans le récit et présente une vision noire de l’humanité. Elle reflète ce qu’il a vécu avant, pendant, et après la guerre. C’est-à-dire la disparition de la démocratie sous le régime de l’amiral Horthy, l’antisémitisme qui toucha entre autres sa femme, puis les persécutions des communistes qui le poussèrent à l’exil en 1948. Dans Libération il décrit une petite société installée dans un abri souterrain pour échapper aux bombardements. L’arrivée des Russes semble inéluctable même si les soldats allemands et leurs alliés hongrois les Croix fléchées sont encore actifs. Ils n’en sont que plus dangereux, surtout les Hongrois qui ratissent les caves pour tuer tant qu’il en est encore temps. Au début les conventions sociales perdurent, les plus aisés s’installent dans un coin avec leur personnel de maison. Les maîtres se montrent plus ouverts que leurs employés car il convient de se prémunir de l’arrivée des Bolcheviks. Et les Juifs, que faire avec ceux qui se sont échappés du ghetto ? Les protéger pour qu’ils en attestent devant les Russes ou les dénoncer pour ne pas craindre les Croix fléchées ? Peu à peu les rapports se tendent. On pue, on ne dort plus, on se vole la nourriture, on se bouscule, on cherche à sauver sa peau. On masque sa peur en disant que les Russes n’oseront pas attaquer, que leurs bombes sont petites par rapport aux américaines, qu’elles sont trop coûteuses pour l’intérêt stratégique de Budapest. Mais on est vite ramené à la réalité. Les orgues de Staline ne cessent de bourdonner et les seuls avions dans le ciel sont russes. Arrive alors le récit d’une femme de ce qu’elle a vécu dans un camp nazi. La sélection par un médecin propre sur lui de ceux qui sont encore capables de travailler et des autres qui sont gazés. Un tri effectué sur de purs critères scientifiques et parfois en musique. L’approche de la fin libère la parole.

Elle veut croire que la souffrance apprend aux hommes à aimer, que l’amour les libère de la souffrance et du malheur

Elisabeth Sós, c’est le nom qui figure sur ses faux papiers, est notre reporter. Cette jeune femme quitte au début du livre son abri pour retrouver son père. Il se terre dans une cave étroite et entièrement murée située de l’autre côté de la rue depuis trois semaines avec six compagnons. Il y a donc pire que ce que vit Elisabeth. Elle a de quoi s’inquiéter car son père, astronome et mathématicien respecté à l’étranger, est honni par les autorités et la presse hongroise. C’est pourquoi il a fui il y a dix mois afin d’échapper à la Gestapo et aux Croix fléchées. Dix mois d’errance, de meutes aux abois, de protecteurs terrorisés. Dix mois qui ont vu les Juifs hongrois disparaître, entassés dans des wagons et envoyés dans les chambres à gaz. Le gouvernement allié des Nazis qui les avait discriminés, ostracisés, privés de leurs droits, avait jusque-là refusé de les livrer contrairement aux Juifs apatrides. Mais le gouvernement est tombé en 1944 quand les Allemands ont envahi la Hongrie. Pourtant son père n’est pas juif ni même vraiment engagé contre l’idéologie fasciste. Il la déteste, ne s’en cache pas, et a refusé que sa notoriété serve de caution. Au début ils ont vendu les biens qui leur étaient chers pour survivre. Ensuite il fallut aussi éviter les Croix fléchées guidées par les dénonciations qui sonnaient aux portes la nuit. Peu avant Noël Elisabeth apprend l’arrestation imminente de son père. Il faut trouver en urgence un refuge dans une ville bombardée et envahie de réfugiés. Un Sabbathien, un Chrétien membre d’une secte proche du judaïsme, le fournit. Ce sera dur puisque seule une main pénètre dans la cave chaque jour pour y déposer l’eau et la nourriture. Dans son abri Elisabeth attend la libération qu’amèneront les Russes. Du moins elle l’espère. Elle veut croire que la souffrance apprend aux hommes à aimer, que l’amour les libère de la souffrance et du malheur. Un très grand livre.

One thought on “Libération, Sándor Márai, Éditions Albin Michel”
  1. Cette chronique m’avait donnée envie de le lire.
    La tension permanente du livre nous donne l’impression de partager la vie dans l’abri.
    Une belle confirmation du talent de SM.

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