En apparence c’est un polar classique. Melchor policier en Terra alta depuis quatre ans, est appelé pour un double meurtre au mas des Adell. Les propriétaires de la cartonnerie locale, les plus fortunés de Gandesa, ont été torturés, massacrés, éventrés, énucléés. Une domestique a également été tuée. C’est la première scène de meurtre pour Melchor dans cette contrée de haute Catalogne où s’est déroulée la bataille de l’Èbre pendant la guerre civile. Même avant d’y atterrir il n’a jamais rien vu d’aussi horrible. Les Adell avaient-ils des ennemis ? Difficile de le dire même s’ils étaient comme des grands arbres qui projettent beaucoup d’ombre et ne laissent rien pousser autour d’eux. Paco Adell avait commencé par ramasser des fragments d’obus pour vendre le métal et à force de travail il possédait la moitié du bled. Ses entreprises payaient d’autant moins les salariés que le coin regorgeait de clandestins roumains prêts à travailler pour trois fois moins que les gens du coin. Il avait des filiales dans plusieurs pays d’Europe et en Amérique latine. N’allez pas croire que Paco Adell était apprécié de ses collaborateurs. Il ne déléguait rien, ne faisait confiance à personne et passait son temps à humilier ses subordonnés. L’enquête s’enlise avant d’être abandonnée. Parce que celui qui la dirige n’est pas assez compétent ? Parce que mettre à jour la vie de la plus grosse fortune du coin est potentiellement une source d’emmerdements ? Ou parce que les Adell étaient proches de l’Opus Dei, cette organisation catholique qui avait prospéré sous le franquisme ? Melchior s’en fiche, il veut juste continuer à chercher les meurtiers dans ce territoire où rien ne se passe jamais, où tout le monde se connaît, au risque de se faire attraper. Melchor n’est pas un policier comme les autres. Il est plutôt pire que ses collègues, plus violent, avec une vie fracassée. Javier Cercas n’est pas non plus un écrivain ordinaire, lui dont toute l’œuvre est traversée par la hantise de la guerre civile dont il dit qu’elle a été plus cruelle que ce qui s’est passé en France sous l’occupation. Puisqu’en Espagne ce sont les méchants qui ont gagné et qu’ils sont restés au pouvoir pendant quarante ans. Lisez ou relisez L’Imposteur pour vous en convaincre. Alors ne vous étonnez si vous sortez secoués de son premier polar.
Ce n’était pas une bonne chose pour Melchor alors qu’il avait toujours la même haine pour le monde que celle de Jean Valjean
Melchor est né pauvre dans une petite ville ouvrière limitrophe de Barcelone. Sa mère se prostituait et malgré ses encouragements il lâcha le collège à 14 ans pour vivre dans la rue. Il volait, se battait, vendait et consommait de la drogue, ce qui lui valut quelques séjours dans les prisons pour mineurs. Puis parce qu’il avait pris du galon dans une organisation colombienne quatre années dans un établissement pénitentiaire pour adultes. Pendant son incarcération Melchor lut Les Misérables. Il trouva le roman génial et demanda à en lire un autre du même genre. Celui qui le lui avait conseillé lui affirma qu’il n’en existait aucun. Même pas dans les œuvres de Balzac ou de Dickens. Alors Melchor relut le roman de Hugo. Pendant son incarcération sa mère fut assassinée sans que les meurtriers soient identifiés. Alors Melchor décida de devenir policier pour les retrouver. Il lui fallait terminer ses études secondaires ce qu’il fit en prison. Quelques années supplémentaires devaient suffire pour l’effacement de son casier judiciaire mais il bénéficia d’un document falsifié. Melchior intervint lors des attentats de Barcelone qui firent 26 morts et une centaine de blessés en tuant quatre terroristes. Il devint malgré lui le héro de sa corporation. Ce n’était pas une bonne chose pour Melchor alors qu’il avait toujours la même haine pour le monde que celle de Jean Valjean. Il fut muté au loin pour préserver son anonymat. Ce fut la Terra alta. L’acclimatation fut difficile. La ville et ses bruits lui manquaient et l’empêchaient de dormir au point de le forcer à se bourrer de somnifères. Il allait découvrir que la violence n’existait pas uniquement à Barcelone, et qu’on pouvait en souffrir même dans ces bourgs où il ne se passe jamais rien.