Surbooké

Le blog de Laurent Bisault

Les recettes de la vie, Jacky Durand, Éditions Gallimard

Mar 19, 2020 #Gallimard

Ce livre n’a qu’un défaut : il est trop court, beaucoup trop court. On voudrait tellement que l’histoire continue. Une fabuleuse histoire de transmission du savoir entre un père cuisinier et son fils. Un père qui a passé sa vie aux fourneaux, initiant son enfant dès cinq ans à l’art de nourrir avec générosité son prochain. Un âge où le jeune Julien posait encore son Doudou à côté du fourneau. Mais un père qui ne voulait pas que son rejeton adopte ce métier dont il connaissait la dureté. Pourtant, Henri l’aimait son Relai fleuri, situé en face de la gare d’une petite ville de l’Est. Probablement en Franche-Comté. Un restau sans chichis où il passait ses journées à préparer avec son copain Lucien vol-au-vent, brioches, pâtés de tête, tartes aux pommes et frites maison. C’est là qu’Henri avait rencontré Hélène, une jeune professeure venue s’asseoir seule à une table, et qui fut surprise par la générosité des portions. « Chez moi on aime beaucoup ou pas du tout » lui avait dit Henri. Il faut croire que cela lui avait beaucoup plus à Hélène, car elle finit par rester vivre au-dessus du restau pour devenir « la bourgeoise intello d’Henri ». Et c’est peu dire que ces deux-là étaient différents. Hélène lisait Simone de Beauvoir et Henri se contentait de mots plus simples, parfois inventés pour mieux décrire ce qu’il faisait au fourneau. Car là était son domaine, à côté de la fonte chauffée par le charbon, puisque il n’y avait rien de mieux que le charbon pour faire mijoter un plat. Henri cuisinait aussi pour sa femme, qui aimait tant manger des huîtres le dimanche en buvant du champagne. De toute façon il n’y avait pas de cuisine dans leur petit appartement.

Les recettes de la vie fait parfois penser aux deux premiers livres de François Cavanna

Un jour Hélène lui demanda de lui expliquer ses recettes qu’elle notait dans un petit cahier. Une opération bien difficile pour Henri qui pesait le sel dans sa main et évaluait la température des plats avec ses doigts. On se régale du récit de Jacky Durand dont on peut apprécier la rubrique culinaire depuis des années dans Libération. On se délecte de sa description des rapports d’Henri et de Julien. Les recettes de la vie fait parfois penser aux deux premiers livres de François Cavanna. Les Ritals par la relation père-fils et Les Russkoffs pour le personnage de Maria, une Russe récupérée en Allemagne à la fin de la seconde guerre mondiale par Gaby le frère de Lucien. On adore Gaby, un savoureux bûcheron anarchiste qui appelle ses animaux de basse-cour Trotsky, Bakounine et Jaurès. Gaby et Maria chez qui Julien séjourna avec bonheur quand il y eut de l’eau dans le gaz entre son père et sa mère. On sourit, on rit, on mange avec eux puisque la nourriture est ici un acte de partage. On apprend à cuisiner des plantes ramassées sur le bord d’un chemin, on redécouvre comment faire une omelette. On pleure parfois aussi sans pour autant perdre le moral. Et on se doute bien que tout le savoir accumulé par Julien lui servira dans sa vie d’adulte.

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