Amateurs de très grands romans noirs, c’est ici que ça se passe. Et pas avec un écrivain américain. Non un Français, déjà auteur de pas mal de policiers, dont le très estimable On se souvient du nom des assassins. Mais avec ce nouveau bouquin, on atteint des sommets. On vous emmène pour cela dans le Hollywood des années 50. Un vrai panier de crabes où bien plus que les producteurs ou les acteurs, ce sont la mafia, les ligues de vertu et l’armée qui font les films. Ça baigne dans l’argent, le sexe et l’alcool. La vie quoi. La mafia ça fait belle lurette qu’elle a envoyé sur place ses représentants, pas vraiment par amour du cinéma, mais plutôt pour tirer profit de ce nouvel eldorado. L’industrie cinématographique brasse de l’argent, alors autant en profiter. Des dollars qui circulent et de tout ce qui va avec. Les Églises veillent au grain pour que rien de choquant ne vienne pervertir les Américains. Alors que cela soit dit, pas question pour ces autorités morales qu’un scénario prévoie une scène de lit. Et l’armée américaine tient à ce que les films envoient un message patriotique. Nous sommes en pleine guerre de Corée, le maccarthysme traque le communisme et tout ce qui y ressemble. On ne rigole pas avec la Patrie. Sur la base d’une documentation richissime, Dominique Maisons nous raconte une histoire haletante où personnages réels et de fiction vont joyeusement se mélanger. Côté personnages réels on est servis. On croise entre autres la jeune Marilyn Novak, une starlette blonde toujours précédée de son opulente poitrine. Avec elle les gros bonnets du cinéma se sentent en famille. Pour réussir dans le métier mademoiselle Novak ne va pas tarder à adopter Kim pour prénom, car chez les starlettes blondes le prénom Marilyn est déjà pris. On croise aussi Ronald Reagan président du syndicat des acteurs, Clark Gable, Orson Wells, Sinatra, jamais très loin quand la mafia est dans le coin, Hedy Lamar un temps réputée plus belle femme du monde ainsi qu’Errol Flynn. En voilà un qui sait s’amuser. Aller faire la fête chez lui c’est comme aller au bordel avec alcools et drogues à volonté. Il lui arrivait parfois de préserver les apparences en cherchant à faire croire qu’il ne buvait plus. Il injectait pour cela à la seringue ses oranges de vodka, en disant ensuite qu’il ne prenait plus que du jus de fruit. Les producteurs de cinéma s’en accommodent. Les plus gros sont souvent sortis de rien à la force du poignet, un peu comme les chefs de la mafia qu’ils ont parfois côtoyés à leurs débuts. De toute façon ils en profitent, trop contents de ne pas appartenir à la génération Me Too mais plutôt à celle du Toi Encore.
C’est brillant, haletant, enrichissant
Larkin Moffat, petit producteur véreux, a envie de croquer dans ce grand gâteau. Bien plus qu’il ne l’a fait jusqu’à présent en montant des westerns de troisième zone ou des films pornos qu’il revend sous le manteau. Moffat rêve non seulement d’argent, lui qui passe son temps à escroquer ses acteurs, et plus encore de reconnaissance. Il lui faut un grand succès avec des dollars au bout, pour fermer la bouche des Big 7, les sept grandes compagnies d’Hollywood. L’époque s’y prête puisque les salles de cinéma viennent de gagner leur indépendance, ce qui les affranchit des Majors. Moffat vit avec Didi qui rêve de devenir une vedette, et elle doit pour cela supporter les coups et les saillies de son protecteur. Le père Santino Starace dirige la Legion of Decency. Plus vraiment croyant, n’oubliant jamais de ramasser quelques dollars, Starace en pince surtout pour le petit cul de Jacinto, un jeune Mexicain en situation illégale en Californie. Le major Chance Buckman est chargé par l’armée de monter une petite compagnie cinématographique. Ce sera ainsi beaucoup plus facile de faire passer les messages patriotiques. Joueur compulsif, Chance bosse avec la séduisante Annie Morrisson, une rousse pulpeuse qu’il ne demande qu’à mieux connaître. L’histoire peut démarrer. Buckman et Morrisson vont financer le premier grand film Moffat. Pas avec l’argent de l’armée. Avec celui de Jack Dragna un mafieux, à charge pour lui de récupérer ses intérêts comme il le souhaite. En théorie les règles de « la famille » interdisent à Dragna de s’occuper du cinéma. Mais le ponte local Mickey Cohen est en taule et ça aiguise les appétits. Quant à Starace, Buckman et Morrisson en savent assez sur lui pour le tenir en laisse. Le puzzle est en place et comme nous sommes dans un roman noir, il n’y a aucune raison que cela se passe bien. Et ce n’est pas la police locale qui va moraliser tout ce petit monde. De toute façon, s’il y a quelque chose qui n’a rien à faire à Hollywood, c’est bien la morale. Le récit est brillant, surprenant, passionnant, enrichissant, sulfureux en diable. Un vrai diamant.