C’est à une drôle de visite que nous convie Victoria Mas dans son roman récompensé par le prix Renaudot des lycéens 2019. Un gage de qualité car les jeunes lecteurs n’ont que faire de bouquins ennuyeux. Cette visite est celle d’une époque où l’on enfermait les femmes quand on les jugeait folles. Et c’était bien là le problème. Parce que loin de les soigner faute de savoir s’y prendre, on les gardait quasiment ad vitam aeternam. Pire encore, l’hôpital de la Salpêtrière, fût-il dirigé par le grand neurologue Jean-Martin Charcot, servait aussi à cacher celles que la société masculine rejetait : prostituées, épouses se plaignant de l’infidélité de leur mari, quarantenaire s’exposant au bras d’un jeune homme de vingt ans son cadet. Bref un « dépotoir » pour celles qui ne plaisaient plus. Et comme si ça ne suffisait pas, les patientes de la Salpêtrière étaient aussi utilisées comme animaux de laboratoire par les assistants de Charcot : exhibées sous couvert de leçon de médecine, raillées voire tripotées pour leur physique. Pourtant en cette fin du XIXe siècle, toutes les internées ne s’en plaignaient tant certaines femmes arrivaient détruites à l’hôpital. Alors va pour le dortoir où leur petite société avaient ses règles, son petit confort, finalement plus rassurant que ce qui les attendait dehors. Sans compter que certaines malades espéraient encore être soignées par le neurologue réputé pour ses recherches sur l’hypnose.
« Car les folles savaient aussi susciter le désir »
Mais c’est bien un roman que nous propose Victoria Mas, son premier, avec ses personnages qui s’invitent dans la grande histoire. La principale est Eugénie Cléry, fille de notaire, peu en cour pour son indépendance dans sa famille, et qui se retrouve chez les folles quand sa grand-mère découvre qu’elle parle aux défunts. Ainsi en a décidé son père qui tient à son image de marque. On ne parle pas aux morts dans sa famille. Rien à voir avec la vision de la Vierge par une jeune fille à Lourdes. Eugénie intègre La Salpêtrière quelques jours avant l’événement de l’année, le bal des folles, où le Tout-Paris est invité à s’encanailler au contact des malades. « Car les folles savaient aussi susciter le désir ». Comme dans La salle de bal de Anna Hope, les patientes attendent avec impatience cette grande journée, leur seul contact avec l’extérieur. Alors elles préparent leur déguisement, apprennent à monter sur scène, la jeune Louise espérant même à cette occasion recevoir une proposition de mariage d’un interne en médecine. Heureusement, comme nous sommes dans un roman, tout ne se passe pas comme prévu. Et de Geneviève l’infirmière à Thérèse la tricoteuse, de Louise à Eugénie, ces femmes nous réservent quelques surprises.