Dans la famille je suis née au sud de l’Italie et je vous raconte ma vie, il n’y a pas qu’Elena Ferrante. Rosa Ventrella nous en propose une nouvelle version, en remplaçant La Campanie par Les Pouilles et Naples par Bari. Même topo, un récit largement autobiographique de l’enfance et de l’adolescence d’une fille qui échappera à son destin familial grâce à sa réussite scolaire. Même présence de la mer. Même émotion pour lecteur à découvrir ce qui nous paraît si loin de notre vie. Et même réussite, nonobstant une bien moindre diffusion pour Une famille comme il faut que pour L’Amie prodigieuse. Direction donc vers le quartier pauvre de San Nicola dans les années 80. Dans la famille De Santis, la petite dernière s’appelle Maria. Mais sa mamie Antonietta l’a affublée d’un surnom : Malacarne. Malacarne pour mauvaise viande, mala carne en italien, ou encore méchante chaire. On pourrait aussi dire mauvaise graine voire mauvais œil. Elle partage sa chambre avec ses deux frères Giuseppe et Vincenzo qui dorment tête-bêche dans le même lit. Guiseppe est l’aîné, celui que tout le monde adore. Pas beaucoup de points communs avec son cadet Vincenzo, la forte tête de la famille. Antonio le père est pêcheur sur son bateau le Ciao Charlie comme le nom du film de Tony Curtis à qui dit-on il ressemble. Sa mère Teresa aussi est belle, ou du moins elle l’a longtemps été. Pour améliorer le modeste train de vie du foyer, Terè travaille à la maison sur un métier à tisser quand elle ne recoud pas les filets de pêche. La vie est difficile surtout que l’humeur d’Antò a tout des montagnes russes. Gare à sa famille quand les pâtes sont trop chaudes ou trop froides, s’il n’y a pas de pain ou si le vin n’est pas assez frais. Car le père de famille a la main leste et nul ne peut prétendre y échapper. Surtout pas Vincenzo dont Thérèse dit qu’il tourne mal car il a été élevé dans la violence. Mais pas davantage sa femme ni même mamie Antonietta. Pourtant Antò et Terè se sont choisis, et on peut même dire qu’ils continuent à s’aimer par intermittence. La famille De Santis vit dans un quartier où tout le monde se connaît. Au milieu de multiples croyances, catholiques, mais au moins aussi souvent sous l’œil des guérisseuses et des sorcières.
Cette petite société connaît aussi de bons moments comme la découverte des amours adolescents et les fêtes
Malacarne, qui n’est pas gâtée par son physique, a de très bons résultats scolaires. Mieux encore, le maître Caggiano lui affirme qu’elle a le don de la narration. Et il convoque ses parents pour leur expliquer qu’il va intervenir pour la faire entrer dans un collège huppé de Bari tenu par des sœurs. Malacarne devrait en être fière, mais elle craint surtout que ses parents lui fassent honte devant le maître. Car sa mère sait à peine écrire et ils parlent tous les deux davantage le dialecte que l’italien. La suite de l’histoire la conduira jusqu’à l’université. Un objectif parfaitement inimaginable dans le quartier où en plus de la misère il faut aussi composer avec la famille Senzasagne, dont le père est officiellement vendeur de cigarettes de contrebande. Mais dont l’activité est en réalité bien plus nocive. Pourtant cette petite société connaît aussi de bons moments apportés par la découverte des amours adolescents et par les fêtes où on danse sur 24 mila baci d’Adriano Celentano. À Noël on se délecte de panzerotti, des chaussons fourrés à l’oignon, d’anguilles au citron, de sardines au sel et de panettone à la crème de marsala que les hommes arrosent de spumante. Les enfants grandissent, Guiseppe part faire son service militaire à Crémone, le lieux de vie actuel de Rosa Ventrella. Un voyage incroyablement lointain pour toutes ces familles qui ne sont presque jamais parties de leur quartier. Ou alors pour émigrer en Amérique.