Surbooké

Le blog de Laurent Bisault

Cinq dans tes yeux, Hadrien Bels, Éditions L’Iconoclaste

Déc 1, 2020 #L'Iconoclaste

Jean-Claude Izzo a trouvé son héritier. Il s’appelle Hadrien Bels et avec Cinq dans tes yeux il a écrit une suite à la trilogie marseillaise d’Izzo centrée sur l’inspecteur Fabio Montale. Cinq dans tes yeux comme les cinq doigts de la main que tu poses sur le visage de ton interlocuteur pour te protéger du mauvais œil. Point d’enquête policière dans le premier livre de Bels, mais le même amour de sa ville qu’il a découverte quand, encore adolescent, il est venu s’y installer avec sa mère. Cinq dans tes yeux c’est l’histoire de Stress qui tente de faire un film sur ce qu’il a vécu dans les années 90 avec quatre copains Kassim, Ange, Nordine et Ichem dans le quartier du Panier. Ils sont aujourd’hui tous partis vivre ailleurs, poussés vers le Nord là où les ascenseurs ne marchent pas, et ont été remplacés au Panier par les « Venants ». Le terme désignait à l’origine les Guinéens venus vivre dans un quartier sénégalais de Marseille. Ce sont désormais ceux que l’on appellerait les Bobos à Paris. Mais comme l’explique Hadrien Bels, ils étaient tous des Venants. Lui qui avait préalablement vécu à Alger, Kassim venu des Comores, Ange de Toulon, Nordine d’Alger et Ichem d’Oran. Le film ne se fera jamais et sa quête donne lieu à un récit vivant, odorant, bruyant, parfois nostalgique sur ce qu’ils ont vécu il y a vingt ans. Le Panier c’était six places, six territoires. La place de Lenche, celle des Mafieux. La place des Treize Coins où pour survivre on volait des scooters et où on dealait du faux shit. La place François-Masson occupée par des petits gentils. La place des Lorettes où régnaient les guerriers de la bière. Les plus grosses bagarres avaient lieu place du Refuge. La leur c’était la place des Moulins où ils fumaient du shit coupé à la paraffine en jouant au foot avec des ballons crevés. Au Panier, on pisse contre les murs, on se bat, on mange des brochettes de foie. Très important ce qu’on mange, l’intégration pour un cul blanc comme Stress passant par la sauce : mayo-harissa et surtout pas mayo-ketchup. Le soir on cherche à aller en boîte pour mater des culs à faire bouger une pierre tombale. On va à la mer pour rouler des pecs, une Marloboro de contrebande aux doigts. La langue d’Hadrien Bels est réjouissante puisque « Marseille a remonté ses seins pour plaire au Venant qui déchire la nuit à coup de carte bleue » ou que « Les videurs puent la protéine de dessous les bras ».

Vingt ans après ses potes sont chauffeur de bus, agent de sécurité, dealer ou RSA

La Marseille d’Hadrien Bels est une ville grouillante, sale avec des chats et des rats qui se battent. Meurtrière car beaucoup de ceux qu’il a croisés sont morts de la drogue ou plus bêtement pour une place de parking. Il ne se donne pas le beau rôle. Sa mère anime les associations culturelles du quartier après avoir fait vivre celles d’Alger, pourtant son fils vole et revend ses larcins dans des marchés où aucun objet n’a une origine avouable. Vingt ans après ses potes sont chauffeur de bus, agent de sécurité, dealer ou RSA. Lui court la subvention pour son film, ce qui nous vaut un portrait tellement crédible des élus locaux qui s’exhibent car eux seuls ont les clés du financement. Il n’y a plus aucun Arabe ou Noir dans les écoles du quartier. Les Venants qui y résident déclarent ne pas pouvoir vivre dans un quartier bourgeois, mais ont une base de repli dans les Cévennes ou le Luberon. Pour Bels Marseille c’est tout cela et surtout une ville qui lui pègue aux doigts.

La bande son du livre


Interview d’Adrian Bels

https://www.franceculture.fr/emissions/le-reveil-culturel/hadrien-bels-a-lepoque-mes-potes-et-moi-dans-le-quartier-du-panier-a-marseille-etait-comme-des-zorro

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *